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EMMILA GITANA
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14 juillet 2018

ANA NON...Extraits

Ma solitude, c'est quatre lits où s'épanouissaient quatre corps d'hommes, jadis. Vides, les lits. Morts, les hommes. Ma solitude, c'est une barque blessée dans son corps , qui se dessèche au bord de la mer, barque désertée que n'accueille plus le salut des mouettes tous les petits matins de la joie du retour. Ma solitude, c'est ce nom heureux que je ne pourrai pas donner à mes petits-enfants, morts avant d'être nés. Ma solitude, c'est ce nom de grand-mère que je n'entendrai jamais, sauf dans le trou noir de mes rêves.

...

La main qu'elle tend vers la charité n'est pas sa main. Caressée par les mains fortes de son mari, elle avait mis au monde trois autres paires de mains, fortes elles aussi, qui auraient su toujours porter à sa bouche le pain du travail, garnir ses poches de l'argent nécessaire pour se procurer le feu et les chaussures, le lit de la nuit et la lumière du jour. Mais la guerre a amputé ces prodigues mains d'hommes. La main qu'elle tend maintenant lui a été greffée par la guerre. La fière Ana non n'a pas une âme de mendiante. Sans cette amputation sa main aurait continué de confectionner les filets pour ses hommes de mer.

...

 

Quatre noms à prononcer : Pedro, Juan, José, Jésus, à modeler dans sa bouche comme quatre globes terrestres, à articuler selon ses humeurs, avec amour ou colère, et d'un seul coup, plus personne à appeler, plus rien à dire. Trente ans de silence, au jour, à l'heure, à la minute près. Trente ans de nuits. Bien sûr, elle disait bonjour et au revoir, que c'est gentil à vous et merci bien. Mais ça, ce n'est pas parler. C'est aggraver le silence.

 

...

La neige se remet à tomber, sereine, fidèle, enveloppant dans son suaire le cadavre d’une femme nommée Ana Paücha, soixante et quinze ans, qui fut épouse, mère et veuve de quatre hommes Paücha, fauchés par la guerre civile espagnole et ses prisons de la haine. Nulle pierre tombale ne perpétue ces cinq noms : 
Ana Paücha
Pedro Paücha
Jose Paücha
Juan Paücha
Jesus Paücha dit le « petit »
Nul œil ne les pleure.
Nul mémoire n’en garde trace.
Ce ne sont que les noms de cinq saints sans église. Des anti-noms.
Des non.

 

 

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AGUSTIN GOMEZ ARCOS

 

 

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ana non2

 

 

 

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