HOMMAGE A GERALD BLONCOURT PAR ISABELLE BLONCOURT ( REPITON )
5 novembre 2018
Hommage à Gérald Bloncourt par Isabelle Bloncourt (Repiton)
Prononcé dans la salle de la Coupole du crématorium du Père Lachaise, Paris 20e
.
" Honneur Respect "
Gérald aurait commencé ainsi, en vieil haïtien qu’il était, lui a
qui on demandait si souvent ces dernières années de
prononcer des hommages funèbres.
« Je suis Haïtien, Natif Natal », comme il disait avec sa façon
bien à lui de faire sonner les A. Pas Franco-Haïtien, comme
on l’a qualifié ces jours derniers dans la presse. Sans renier
la France qui l’avait accueillie, il se disait « Européanisé par
Force Majeur », un palmier déraciné dans les Neiges.
Honneur Respect
Votre présence ici, nombreux, divers, de tous âges, venus de
partout, témoigne de ce que fut Gérald toute sa vie : un
rassembleur. « Tout Moun c Moun » disait-il en créole,
chaque homme est un Humain.
Où qu’il soit, dans la rue, à une terrasse de café, dans un
meeting, il adressait le même regard et entamait la
conversation avec la même générosité avec un enfant, un
chien, un SDF, ou une personnalité.
De là pouvaient naître des amitiés à la vie à la mort, comme
avet de leurs petits frères et sœurs, qui n’ont jamais oublié la
voix chaude, les récits de ce grand bonhomme à casquette,
quand ils étaient de tout jeunes enfants.
Gérald savait laisser le sentiment à Chacun d’avoir vécu avec
lui un moment unique, une histoire, une aventure.
Pour Les Portugais qu’il a photographiés dans les années 60,
il est LEUR photographe, celui qui a su raconter leur histoire,
celle de leur immigration, qui leur a donné une mémoire. Ils
en ont fait un des leurs, et la présence aujourd’hui de
représentants de l’Ambassade du Portugal en France, du
Consulat Général du Portugal à Paris, et des Communautés
portugaises témoigne de cette adoption.
Des hommages lui sont rendus aujourd’hui même au
Portugal.ec Saïda, la petite vendeuse de friands chauds à la viande
qu’il achetait sur le faubourg Saint Antoine, pour qui il est
devenu un second père, et qui 30 ans plus tard, était là à son
dernier souffle.
J’ai reçu ces derniers jours tant de messages qui me disaient
que Gérald a laissé, chez chacun d’entre vous, sa marque.
Des messages de ces vieux camarades mais aussi de jeunes
gens qu’il a connu enfants, des amis de notre fille Morgane,
Mais pour les Haïtiens aussi, Bloncourt est LEUR combattant,
leur infatigable lutteur. Haïti aussi a envoyé ses représentants
pour cet hommage et on lui rend hommage là bas.
Pour les « gars de chez Renault » comme il disait, il est le
photographe de Billancourt.
Et pour les amis de son café, Le Rallye, au coin de sa rue, il
est un pilier de leur quartier.
Gérald savait donner à chacun, à chaque groupe le sentiment
qu’il était avec lui, indéfectiblement attaché à leur cause.
Et pourtant. Il est resté toujours fondamentalement un
homme LIBRE n’obéissant à personne et ne se laissant
attacher par personne.
Un homme capable, pour un regard, pour un sourire, de
bondir hors d’une rame de métro, de poser sa main sur mon
épaule, de décider, en une seconde, que je serai la femme de
sa vie, et de me garder pendant 30 ans.
Depuis qu’il est parti, chacun me témoigne des traces qu’il lui
a laissées. Un ami m’envoie un message, « Gérald est à la
maison, » avec une photo d’un de ses tableaux. Un Haïtien
de New York chez qui il a séjourné en 2000 me rappelle
qu’entre deux meetings avec la communauté haïtienne, il lui
avait recollé les carreaux de la salle de bains dans sa maison
du Queens. Et je sais plusieurs d’entre vous, chez qui il est
venu un jour avec sa perceuse, ses visses, ses outils, monter
un placard, poser une étagère. « Je suis tous les corps de
métier, menuisier, maçon, plombier, électricien », disait il en
faisant visiter notre maison de La Babinière, aussi fier de ses
meubles et de son plafond que de ses tableaux.
J’avais l’habitude de dire que je lui avais délégué les relations
publiques de la famille. C’était lui qui amenait à la maison des
gens toujours nouveaux, intéressants, attachants, ou plutôt
c’est à lui que les gens venaient, lui qui les séduisait avec
ses récits, sa verve, sa belle voix, son enthousiasme à les
embarquer dans ses projets, ou à les encourager dans les
leurs, comme il l’a fait avec tant de jeunes artistes, de jeunes
photographes...
Gérald et moi on se disait souvent en se serrant la main
« A nous deux on est fort ! », parce qu’on venait de réussir
ensemble quelque chose de minuscule ou d’énorme : monter
un meuble, offrir un bon repas et une soirée joyeuse à des
amis, faire une exposition, un voyage...
Quand ces derniers mois, je savais qu’il allait me quitter, je lui
disais : « tu ne peux pas me laisser seule. Toute seule je
n’aurais pas la force ». Et il me répondait invariablement : « je
ne te laisse pas seule. J’ai planté autour de toi des tas d’amis
fidèles, et ils seront à tes côtés »
Et c’est vrai que vous êtes là, vous avez été là ces jours
derniers, et je sais que vous le serez encore, par fidélité à sa
mémoire.
Je veux remercier tout particulièrement celles qui ont pris soin
de lui dans les deniers mois, qui lui ont permis de partir sans
trop souffrir, entouré d’affection : Clarisse son médecin,
Allison et Anne, ses infirmières, Saïda, Bidia, Céjeanne,
Géraldine, et bien sûr Ludmilla et Morgane, ses filles et aussi
Daniel, son gendre dont il était si fier, « un grand chercheur »
disait-il, et à qui il était rassuré de confier sa fille.
Il est parti sans regret. Il avait revu son Haïti natale en 2016
dans un voyage inoubliable où il avait été fêté, honoré. Il avait
fait la paix avec sa fille Sandra retrouvée ces dernières
années.
Dans les derniers jours, il a donné à ses filles ce conseil :
« Essayez de voir encore un peu si on peut changer le
monde, en faire un monde solidaire et fraternel. A vous les
jeunes de reprendre en main votre destin, de reprendre les
idées de la solidarité française... ».
Puis il s’était interrompu : « Je reprendrai plus tard, quand il y
aura plus de monde ... ! »
Voilà aujourd’hui il y a plus de monde...
Plus tard il leur a dit :
« Aimez vous toujours, Ne vous fâchez jamais.
Pensez à moi de temps en temps.
Et n’oubliez pas ma petite Haïti chérie. C’est toute ma vie »
Ludmilla, Morgane et moi, depuis lundi, nous avons regardé
toutes les vidéos où il apparaît, nous nous sommes bercées
de sa voix, il était toujours là avec nous.
Et pour tenter de survivre à son absence, je me répète ce
poème d’exil, celui qu’il a écrit après qu’on l’ait arraché à son
île, et où il nous dit que, de cet arrachement, il est né.
Renaître pour une nouvelle vie à chaque coup dur, c’était Gérald.
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L'Exil...février 46 (extrait)
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Ce matin là il n'y avait que le vide des voix-fantômes
par les rues de la ville qu'on fusillait en moi
Il n'y avait que l'écho des bruits que l'ombre des uniformes
que la veille et les avant-veilles de ce matin de Février
que le passé que des lambeaux de souvenirs
Mon cœur meurtri déchirait en cadence des sentiments brûlés
Le monstre prit son essor .....
L'horizon bascula quand l'avion prit son cap...
Le ciel était immense
Je suis venu au monde
J'avais pourtant vingt ans...
(L'exil... Février 1946)
Et je voudrais vous dire encore un extrait d’Isabelle de Paris,
qu’il m’a écrit en 1989.
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Isabelle de Paris (Extrait)
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« Le voilà, le jour, le lieu, où je coupe la gorge au temps....
Isabelle a paru sur un quai de métro.
Elle a mis dans le mille, et ses hanches ont annulé le vide...
Il a suivi la piste en tremblant de lumière.
J'ai repris le chemin, le dur chemin de voir et d'exister.
Le dur chemin de dire et de montrer. .....
J'ai repris la route du faire-parler,
du faire-sentir et même du faire-pleurer.
Pour toi, rien que pour toi,
j'irai »
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Alors oui Gérald
Pour toi,
sans toi
mais avec toi au cœur pour toujours,
je vais m’efforcer, accompagnée de tous ceux que tu as
laissés autour de moi,
de continuer à ALLER sur le chemin de la vie.
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ISABELLE BLONCOURT - REPITON
https://www.facebook.com/irepiton/videos/10215270828995437/?t=4
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Gérald Bloncourt 2016