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EMMILA GITANA
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22 juin 2020

LES ILLUSIONS D'OPTIQUE - POST SCRIPTUM


Vivre est traverser les pièces d’un musée des choses hétéroclites. On se retourne sur des galeries où les tableaux sont alignés en désordre, les souvenirs accrochés aux cimaises comme des silhouettes, les vivants devenus des portraits et le temps qui a passé, un catalogue d’images fixes et les tableaux d’une exposition, sans compter les cadres vides. Pourquoi les humains s’attardent-ils au passé, c’est à dire au temps ou ce qui leur en est resté ? Pourquoi nous penchons-nous sur les images ? La réponse est unique : Le Regret. Le regret d’un état qui n’a jamais été ; c’est d’ailleurs ce qui définit la nostalgie. On soupire d’avoir perdu des choses qu’on n’a jamais possédées. Sinon, comment le simple fait du temps les a-t-il fait disparaître ? Lorsque la mémoire les rend à nouveau présentes, c’est une illusion d’optique. Le regret est l’espérance que l’on retourne comme un gant.
On en voit, des choses dans les musées et il s’en passe de belles. Des gens tout nus sont découpés et s’en délectent. Leurs yeux de suppliciés se révulsent dans l’assomption masochiste du martyre. Cet athlète - au fait qu’est-ce qui tient le pagne à sa taille ? Il ne manque plus que l’érection au tableau – jouit de la fourche qui lui perfore le torse. Celle-là se pâme qu’on lui tranche les seins. Rubens a saisi Saint Just à l’instant où il ramassait sa tête. Lui, il aura droit au double miracle et sera décapité deux fois, la deuxième, moyennant le tiret, en Thermidor… Les miracles ne font que prolonger la souffrance. Dehors, la ville est noire comme un Vlaminck. Ça sent le crime et la poisse. On devine du lubrique sous la couche flasque de la suie. Le vice est dans la ville tel qu’il est sur les toiles pieuses du musée. Le Regret et le crime sont liés comme Caïn à Abel.
Il arriva que le Regret prit la forme d’un œil. C’était du surréalisme avant l’heure, une de ces boules noires qu’on trouve flottant dans les paysages de Magritte.... - « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn », ça, c’est Victor Hugo qui le dit. Pas Magritte dont les portraits ne regardent jamais personne, au point que lorsque ils sont devant un miroir, celui-ci les réfléchit de dos, depuis notre place à nous, soit l’arrière. Ce qui a déçu Caïn et ce qui l’a rendu agressif, c’est que cet œil ne le regardait pas, lui, en particulier. En fait, au-delà d’un personnage de la Bible, pour parler comme si la Bible était un roman, ce regard semble nous viser comme la Joconde qui nous suit du regard, ou qui paraît nous suivre, mais ne vous voit pas nous mêmes. Pour Mona Lisa, on n’existe pas ; pour l’œil, Caïn n’est rien du tout. « Ceci n’est pas un œil » aurait ajouté Magritte, ou un œil sans regard. En effet, qu’est-ce qu’un œil sans visage ? – Un ballon ou un yoyo pendu au bout d’un fil. Ne pas confondre non plus l’œil de Caïn avec celui de Polyphème. Ce n’est pas qu’il soit unique : il louche. Sans cette loucherie, rien n’a de sens. On se rassure un avec des illusions d’optique. Des hallucinations quelques fois. L’œil de Caïn est celui du nourrisson de Winnicott qui « hallucine le sein de la mère ». Un Réel hallucinant est ce que voit l’œil, mais c’est le nôtre, il ne faut pas chercher plus loin, infiltré jusque dans le réduit de la tombe. Avait-il passé la muraille du sépulcre, ou espionnait-il Caïn par le trou de la serrure ? Il est accroché au mur comme l’image du regret. A côté de la douleur d’avoir perdu son frère, le souvenir de l’avoir tué n’est presque rien. Ceci n’est qu’une histoire et non le dossier en instruction d’un procès... Ou alors c’est un procès qu’il se fait à lui-même, lui, l’assassin, le juge et en fin de compte, la victime. Quiconque n’ a pas perdu un frère ne peut se l’imaginer, quiconque n’a pas tué à la longue son image avec l’oubli, n’a pas crevé l’œil de Caïn, c’est à dire l’abcès que forme le regret avec le pus de la culpabilité. L’humain est une énigme imbécile qui finit avec des Caïn par centaines dans le cimetière d’Omaha Beach où ils s’étaient entre-massacrés avec leurs frères d’un autre camp. Cette histoire d’œil et de persécution en est l’allégorie paranoïaque : La paranoïa est un équivalent agressif de la nostalgie.

 

 

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JEAN CAMILLE

 

 

 

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cain-henri vidal tuilerie2

Sculpture " Caïn " Henri Vidal

Commentaires
J
Donc, je vous félicite enfin pour la diversité de vos choix, pour leur pertinence, ma priorité va aux poètes et vos pages sont une vraie mine. Récemment, vous avez publié quelques notes et extraits à propos de Tristan Cabral dont plus personne ne parle : il était mon voisin, et je ne le voyais plus, c'est vous qui m'avez appris sa mort, cela m'a fait beaucoup de peine... C'était un écorché vif et, peut-être (?) une sorte de génie __ et les génies ne sont pas faits pour vivre heureux, je crois...Vos publications, je les parcours avec un très réel plaisir étant beaucoup moins cultivée que vous ;) : je m'enrichis! Pardonnez-moi de ne vous avoir jamais fait signe (je suis une vraie gourde devant un ordinateur!)Poursuivez vos belles publications et soyez remerciée de tout coeur!!! Bien à vous - Joëlle
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J
Bonjour, Emmila, cela fait quelques années déjà que je consulte régulièrement vos pages et je ne vous ai jamais remerciée! Je vais d'abord voir si ce commentaire passe (je n'ai jamais essayé) avant de vous écrire la suite.... A tout de suite, j'espère....
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EMMILA GITANA
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