UNE ENFANCE AFRICAINE...Extrait
Juché sur le cordon littoral Nord du Gabon. Le petit village de Pêcheurs béait aux rivages chauffés à blanc de la Guinée Équatoriale, du vaste Golfe de Guinée. Un rempart de billes de bois et de grumes le protégeait des assauts tonnants de la grande marée. Des billots énormes s'engravaient ainsi sur la dune, au fil de la dérive des forêts primaires exploitées par l'homme en amont.
Un humble hameau, aux entours si précieux si l'on considère le moindre détail légué par les multiples générations qui l'avaient ainsi conçu, choyé, vénéré.
La photo est déjà vieille, jaunie ; relique d'un passé qui n'est certainement plus ; pensez-vous ! Quarante cinq années auront eu raison de l'épreuve du petit Kodak, du premier appareil photo que l'on s'offre, jeune, avec les subsides d'une maigre pêche très couleurs locales.
Mais quels souvenirs submergent les ans qui s'en vont et ne reviennent plus, les péripéties d'un voyage qui ne garderait en fait que le nom réducteur et qui convient davantage à l'acception remembrance ; l'aventure extrême définirait mieux les échappées belles que le Gabon nous servait sur le plateau de la fugue, de la témérité.
Sous la canopée, au coeur de la mangrove, le long des côtes immensurables du continent africain que les houles lointaines berçaient, nous allions libres comme le vent, le long des pistes de latérite réinventer le sens de la rencontre, à l'orée de la sagesse.
Dans le fond et à gauche du cliché, on devine les filets que les pêcheurs disposaient, en prévision de leurs futures sorties. Ils les avaient nettoyés, adroitement réparés et lovés, prêts à être de nouveau embarqués et jetés.
Sur le sable étincelant, bouillant et crissant sous les pas de ces hommes aguerris aux choses de l'Océan, quelques pirogues colorées pointaient leur étrave vers l'infini. Les badamiers et les hauts cocotiers bruissaient dans la tiédeur océane que se partageaient également le jour et la nuit, indéfiniment... Fascination, profond respect de l'inconnu, ici, étaient de mises !
Le soleil mordant dardait de redoutables rayons. Une partie du butin des pêcheurs séchait sur quelques filins tendus entre deux piquets de bois flotté. De larges darnes semblaient cuire et dorer, profitant ainsi d'un four naturel libérant alentour ces fumets que l'on n'oublie plus jamais !
A midi, point de vie apparente ; l'ombre précieuse des cases et les courants d'air y réfugiaient les familles autour du repas, de la cuisinière, des préparatifs séculiers, le tout dans un concert de palabres interminables et chaleureuses. Un vieux transitor, tout à côté, livrait les charmes chaloupés d'une rumba congolaise très en vogue à l'époque. Soleil !
C'est alors que nous nous asseyions, à même le sol, sur une natte de jute. Délicatement conviés, au seuil de l'inestimable sobriété des gens de mer, nous recevions tel un don l'expression d'une générosité sans égale. Nous partagions le repas copieux dont les ingrédients tirés de la mer ou des marigots voisins gardaient cette sapidité que les seules épices locales relevaient plus encore.
Pili, sauce Nyambwé, longue cuisson à l'huile de palme et au feu de bois, pain de manioc découpé en tranches épaisses et fortement odoriférantes, fruits tropicaux cueillis aux arbres, nous découvrions une gastronomie authentiquement ethnique, culturelle et préservée. La nature y pourvoyait entre l'eau douce et salée, une terre de provendes où tout poussait abondamment...!
L'après-midi était à la pêche au crin, depuis la pirogue, à quelques encablures du rivage. Nous allions selon les courants de la marée et le jour qui déclinait très vite. Pendant ce temps, les filets devaient capturer ! Les plus gros crins de nylon enroulés autour d'un bois, les bas de lignes à cordes à piano laissaient augurer de la taille des prises à venir.
On pêchait là-bas pour les besoins du petit village, ceux des hameaux voisins. On ne rejetait absolument rien. Les femmes, les hommes, les vieux et les enfants affichaient ces indicateurs de bonnes santé et de vigueur qui étonnent. Ils vivaient leur existence en parfaite symbiose avec les commandements de l'Océan, des saisons sèches et des pluies qui alternaient avec une ponctualité remarquable.
Profonde nostalgie dont on ne revient pas indemne ; on y a laissé un peu de son âme. Rien ne saurait altérer la transparence et la clarté de l'évocation.
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CRISTIAN-GEORGES CAMPAGNAC
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Coco Beach Décembre 1973