12 septembre 2021
LA SEMENCE
Je porte la présence d’une morte, sa semence vivante. Elle me redonne souffle. Je porte sans comprendre son âme dans mes mots. Je porte dans ma voix les hurlements d’un loup. Ma mère chante en moi. Mes enfants cognent du poing aux parois de mon ventre. Je porte Alice traversant le miroir, le petit cheval de Jammes, l’âne affamé de Prévert, le sang séché sur la lyre d’Orphée. Je porte l’espérance de la pierre à la plante, le rire du saumon dans les frayères de larmes, la rumeur des légendes dans nos étés en friche. Le tableau noir du présent n’efface pas la mémoire de la craie.
Je porte les dessins sur les murs de la grotte, le premier silex, le premier cri, le dernier mot, le dernier geste, celui d’ouvrir la main. Nous n’avons jamais d’âge. Nous n’avons que le temps. Lorsque je n’écris pas, je reboise parmi les abattis. J’écoute les oiseaux entre deux coups de pelle. Je sais qu’il faut planter en ligne mais je préfère les courbes, les méandres, les sillons en forme d’aile. Je porte le destin des feuilles imprimée dans les paumes, le cal des écorces, la sueur de l’aubier. Je ne suis jamais seul derrière mes paroles. Quand les ombres s’allongent, j’avance à lueur de l’encre.
Je porte dans ma voix la chair des pronoms, les prénoms oubliés, tous les noms de la terre. Je porte dans ma poche l’allumette des mots, la torche vive du cœur dans la poitrine rouge. Je tiens les heures entre mes doigts comme la main des arbres retient la neige. J’ai marché trop longtemps sur la poussière des villes. Malgré le chant des ouaouarons, le crissement des cigales, le hurlement des loups, je porte un cri d’usine au milieu des forêts. J’arrache des chansons à la terre des pas. Je laisse une caresse à la peau des routes, un baiser sur la brume. J’avance de monde en monde sans quitter mes racines.
Je n’écris pas mes mots, je les marche. Je ne marchande pas, je donne. J’écris pour libérer les mots de l’esclavage des mots. Je voudrais partir sans laisser de charogne. Le vide entre les mots, j’en ferai mon tombeau. J’écris des livres sans histoire avec des images aux visages invisibles, une part d’ombre qui garde sa lumière. J’écris comme on respire pour que ceux qui ne savent pas lire en ressentent le souffle. Je dessine le ciel nuage par nuage. Tous les atomes de poussière finissent en lumière. Les grains de sable s’éploient comme une aile fragile. L’alphabet rajeunit la vieillesse des mots.
J’écris comme je marche, sur le même sentier. Mes pas cherchent leurs mots. Mes mains cherchent leurs ailes. Chaque phrase est une cicatrice sur la peau du monde. Nous emportons sous terre tout ce qui reste à taire. Ce qui est dit persiste à y prendre racines. Il est inutile de crier quand nous pouvons chanter. Ce ne sont pas les mots qui nourrissent les fleurs; ce sont les pleurs qui nourrissent les mots. Mes phrases ont plus de doigts qu’une main, plus d’ailes qu’un oiseau, plus de voyelles que le silence. J’avance dépouillé du futile. Ma force est de garder espoir quand tout s’écroule autour de nous. J’écoute la montagne. Je repousse la mort en regardant la mer.
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JEAN -MARC LA FRENIERE
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