CHEMINS D'ENCRE...Extrait
J’en suis persuadé, c’est la même insatisfaction – ou le même manque – qui me fait marcher et qui me fait écrire.
Me voilà sur un chemin, en haut d’une falaise, l’océan roule en bas du sable et des galets. Un taillis masque la petite crique dont je devine le croissant ocre enserré de rochers où se fracassent les vagues. Je tends en vain le cou pour essayer de l’apercevoir entièrement. Il me faudrait avancer encore, mais la voie en corniche devient malaisée. J’hésite, pousse un peu plus loin. Ici, le ravinement a entaillé le sentier de profondes rigoles. Des pierres roulent sous mes pieds et dégringolent la pente.
D’autres avant moi sont pourtant passés, au risque de se rompre les os. Ce sont eux, peut-être, qui m’incitent à céder à l’envie de poursuivre...
Poursuivre quoi, au juste ? Je n’ai pas la réponse et la question ne m’effleure guère d’ailleurs : pour l’instant, je ne suis occupé qu’à forcer l’entrée dans une carte postale, sur quelques mètres de plus...
Je m’accroche aux épineux pour franchir le passage difficile, descends un raidillon sur les fesses et, bientôt, je découvre enfin le fond de cette petite anse indomptée où nul n’inscrit sans doute jamais ses pas.
Mais le but n’est pas atteint pour autant, car rien ne s’est vraiment incarné. Si je me repais un moment de la lumineuse nudité de la crique sauvage, je me sens vite insatisfait : j’aimerais y descendre, fouler ce sable vierge. J’ai beau pourtant fouiller des yeux buissons et éboulis, aucune voie ne semble lui donner accès. Je laisse alors mon regard errer sur la frange blanche qui souligne la côte au loin et se dissout dans la brume.
Je me suis assis à l’endroit où le sentier meurt dans l’herbe rase. Devant moi, tout autour, l’immensité océane : la beauté inaliénable. C’est trop. Je pourrais rester là des heures à la contempler sans l’épuiser.
Il n’était pas nécessaire de venir jusqu’ici, sur ce bout de promontoire, pour la gagner ; elle m’était offerte plus haut déjà, dès la table d’orientation, bien avant de tenter ce genre d’approche que je répète inlassablement sans en connaître jamais le sens. Il faut pourtant encore que je me raisonne pour ne pas me laisser aller à imaginer qu’il est peut-être un passage, plus ou moins caché, permettant d’arriver jusqu’à ce rocher en surplomb, là-bas. Celui qui me nargue et d’où je jouirais encore mieux de ce qui m’est déjà donné...
En montagne, c’est pis encore : chaque crête franchie y ouvre un nouvel horizon, éveille le désir, me demande de poursuivre. Et je perçois la même tentation – ou le même entêtement – chez les autres randonneurs : le marcheur nourrit son effort de l’illusion qu’il existe partout un « bout du bout » qu’il faudrait atteindre pour atteindre un peu de la vérité du paysage. Il n’y a pourtant rien à conquérir, rien à fuir non plus probablement, et si marcher pouvait suffire, on tournerait en rond. Mais il nous faut aller.
Aller à...
Quitte à s’inventer un but, une cause, un refuge ou toute autre chimère capable de nous persuader que nous ne sommes pas tout à fait restés dans l’errance.
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MICHEL BAGLIN
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