LA NUIT N'ETEINT JAMAIS NOS SONGES...Extrait
Seul le spectacle des fleurs ce matin me fait rester vivant. À l'entrée de l'hiver, la première phrase est une rose sur le muret du jardin. Elle persiste en compagnie des flocons silencieux, vainqueur des intempéries. Elle nous écrit dans sa robe resplendissante ou demeure muette des heures durant, ses pétales offerts aux quatre vents. Quand je la regarde, elle semble tourner vers moi son visage, entrouvrir ses lèvres minces, balbutier quelques bribes. Oui, la rose écrit dans la lumière la première phrase qui ne vient jamais des livres, mais du profond de notre petite vie, du très profond de la douleur et de la joie, d'un éclat du soleil sur la pierre. Je l'attrape au vol et la grave sur le papier avec une main de douceur ! Mais je ne la tue pas à l'instar de ces collectionneurs d'insectes, de papillons, chasseurs adulés dans les livres savants ! Comment peut-on aimer contempler ces litanies de cadavres ? Seul un goût démesuré pour la mort pourrait faire de moi pareil collectionneur. Pour écrire, nul besoin de s'appuyer sur la douleur. La douleur ne suffit pas. Seule la joie fait chavirer le cœur. Tu voudrais écrire à voix si basse cette joie que l'on t'entendrait à l'autre bout du monde. Mais tu n'écris presque plus, écoutant le silence, traversant les nuits une torche à la main. Somnambule. Dans la nuit se promènent les visages des tiens. Aucune page n'efface leur souvenir. Tu les revois tous, un à un, hagards, hébétés ou étrangement rieurs.
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JOËL VERNET
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