LABYRINTHE
La nuit est à la monodie des vents tournants, aux grains, au foehn îlien, au froissement dolent des oliviers sous la voûte constellée. Comme un règne incontesté et salutaire que la nature dispute au tumulte, au chaos de la carrière infamante. Un combat inégal écorche le sommeil que je ne trouve pourtant pas en cette longue veille, alors que tout prélude à l'échappée solitaire.
Appréhension, certes, mais plus encore, la peur, la crainte de ces étendues que je devrais pourtant moins redouter au fil des sorties ; ne les aurais-je jamais assez cotoyées, seul, en mer, à l'acmé de la tempête et de ses grains blancs aux denses nuages d'écume ? Au royaume du bleu, entre ciels et mers, l'habitude n'est jamais de mise.
Le bois de pin Laricciu, les vieilles fenêtres et les vantaux craquent. Certaines rafales de vent en imposent à la charpente. De sinistres craquements habitent le silence mémoriel de la bâtisse, le cheminement de ses pierres taillées. Les hauts pins séculaires se confient au Ponant ; dialogue de sourds. Leurs appels à la forêt primaire, à la reviviscence de la montagne et des nostalgiques estives m'interpellent. Les combes et les fûtaies enneigées, sillonnées de traces et de secrètes empreintes sonnent clair, telles de lointaines sonnailles...
Il arrive que la nuit s'alentisse, devienne plus profonde ; vaste labyrinthe. Les pensées s'y égarent, ne sachant jamais comment oser la sortie, quelques heureux échappatoires. S'abandonner aux étoiles avant que de s'y replonger, corps et âme, sans vraiment cerner la raison, le sens et le but qui gravitent tout autour de la solitude, d'une pratique que je pousse par-delà mes limites, en conscience, tel un dict-amen résolument rebelle à la norme, au cadre rigide, in fine, au confinement.
Les heures défilent, oscillent entre mise à l'eau et totale immersion. Tout signe convenu entre la terre et moi s'avère vain. Revenir ne dépend plus de la volition ; nous déciderons ensemble. Laisserais-je la main ! Dans cet univers aux horizons à la fois figés et fuyants, bossués, l'instant qui passe sans chuter vaut gage d'un partage incessant, rime, distyque, harmonique.
Il est vrai qu'en mer, porté, emmené par mon esquif courbe, frêle et modestement ailé, l'issue demeure aléatoire. Je trace une route sans autre destination qu'un entre-deux vague qui isole, qui enclot. Un sillon qui compresse le temps entre passé et futur immédiats. Le présent vire à l' instant éminemment bleu. Camaïeu, kaléidoscope mouvant, obstinantes métamorphoses ; que les ciels composent et s'harmonisent !
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Cris - Phikaria
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Trouver un point d'osmose, une limite symbiotique. Planer et danser entre le ciel dense et l'azur impalpable au royaume de l'éphémère, de l'immédiat, de la révélation, aller et vire - volter avec l'oiseau. Happer ensemble ces folles bolées d'embruns. S'enivrer de sels marins, accepter, le profil bas, les gifles du fort coup de vent.
Où poser le regard si ce n'est vers le large, les rochers de la montagne dans l'azur, tout en lisant les taros que battent et rebattent l'onde et la lame avant de déferler, d'ennuager le grand bleu, de dissoudre l'hypothétique dessein d'un rêve, la probabilité d'un écueil que je croyais à toujours abîmé ou ailleurs, introuvable ?
Comment commuer en mer les dénivelés cumulés de la montagne, en pleine tempête ? Si ce n'est en milles marins abattus, en cavalcadant sur un perpétuel parcours de bosses, de creux et de crètes écumantes. Ces centaines de mètres de pentes bleues, irisées, à double sens que je dévale dans la longue houle et les nombreuses vagues qui accourent en séries abondantes, qui portent et qui soulignent les côtes acérées aux festons ouatinés de blanches écumes.
L'avalanche, le rouleau y sont tout aussi meurtriers lorsqu'ils cernent les brisants, les hauts- fonds, les effleurements de l'écueil et le sec. L' élan, l'épaisseur de la masse suffisent. L'air manque, l'eau ne se respire pas. Le choc est toujours aveugle et le roc partout ! Au fond, c'est déjà la nuit ; antichambre, un- probable " Eau - Delà " !
Autant en emporte les bourrasques de mon sommeil léger, en alerte. Je vis, vogue, décide en anticipant ; lire et vite. Mes yeux cherchent un repère dans la nuit palpitante du labyrinthe fluide et mouvant. La pensée ne suffit plus. Comment échapper à ce flux de détails que le grand Tout fusionne, ordonne, accompagne ? Célestes pétales gorgés de sucs empyrées...
Si les points aux rivages me parlent encore, nombre d'entre eux me font faux bons, m'échappent, disparaissent, réapparaissent autre part, inattendus, soudains, effrayants et si proches.
Labyrinthique échappée ! Un oxymore irrémiscible, irrépressible. Dans ce dédale lithique peuplé de paréidolies minérales, de sinusoïdes et de synclinaux métamorphiques où les légendes ont encore libre-cours, je vogue et divague.
Je me donne, autrement que de raison. En chemins, en boucles de vents et de vagues que la Rose essaime au fil des chaudes nuées hyémales qui s'abattent, je vole.
Mais je ne saisis plus les messages rassurants, les vibrations, les augures favorables de nos saisons d'antan.
Les temps changent, le temps y perd son immémorial alphabet. Le labyrinthe s'obscurcit, s'étend, gagne le large et tant d'inconnues. Un-signe Ciel de nous trahi !
Souque, marin, souque, choque, abats, prends tous les ris, mets à la cape, en fuite, file de l'huile au vent, remets -en toi à l'a - encre flottante.
Viennent ces jours où il te faudra demeurer à Terre. Tu regarderas l'unique amer qui donne enfin le vrai cap. Tu iras où le vent mène telle une poussière, l'infime grain de sable, un flocon, une goutte de rosée sur la mer, au petit matin des vagues qui rosissent et bercent tant de souvenirs
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CRISTIAN-GEORGES CAMPAGNAC
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Oeuvre Emil Nolde