BLEU
Commencer par le bleu car c’est notre origine. C’est nous, c’est moi. Bleu c’est et le ciel et l’eau, c’est l’eau parce que le ciel et au-delà du bleu, il n’y a plus que de la nuit.
Bleu est un absolu. Si on recherche la pureté, on peut commettre l’erreur du blanc mais droit devant, plus forte, plus attirante encore est la densité du bleu.
À la racine, il y a l’outremer. La pompe animale qu’enserre ma poitrine envoie jusqu’aux extrêmes de mon corps de l’outremer avec la puissance d’une marée et comme elle, c’est inlassable. La couleur ne tarit pas. Elle n’est que force. Seule s’épuise lentement l’énergie et le mouvement.
Outremer, c’est aussi cette trace marine dans le bleu au sortir des nuits abyssales. Quelque chose venu d’ailleurs, hors du champ déterminé du bleu. C’est au-delà de la couleur mais tout est là, varech, limon, puissance décomposée des roches, l’odeur du sel aussi et, sur la palette du monde, l’alchimie de la première eau prend nom, forme et densité.
On sculpte l’outremer. On pétrit par la main et l’esprit bien plus que la de pâte-couleur. Le meilleur de l’humain est teinté de mer sans fond par temps d’été, brûlure et froidure. Un peuple tout entier chante en lui, roulé par les courants des profondeurs. Dans les fleuves masqués des fonds sans lumière coule une vie inéluctable, une vie d’avant la vie.
Être fidèle. On en revient à cela. Le bleu sans fin m’appelle tant que reste un souffle de vie en moi. Dans la détresse aride du désert, dans l’épuisement des sentiers de montagne, loin au dessus du monde, sous le couvert moite des terres végétales, je m’abîme dans l’intensité du bleu, je prie une divinité qui n’a ni visage ni contours mais qui répand son azur entre chaque cellule vivante. Un pas après l’autre, j’avance et puise à la une pile indigo qui m’anime, jusqu’au plus haut, jusqu’au plus loin.
Revenir des profondeurs, c’est répondre à l’appel d’un bleu toujours plus transparent. Les colosses océaniques le savent, eux qui explorent les eaux de leur chant limpide, et sans cesse nous venons, comme eux happer cette goulée de lumière, cet azur crevé de soleil, quand le morne menace de nous engloutir.
Il n’y a pas de mensonge possible. Le bleu est dans le regard. Il ignore l’iris de l’œil et traverse la vision, jusqu’au revers des apparences.
Même loin de toute couleur, même dans le plus obscur des enfers, il reste une touche de cœur et, à n’en pas douter, elle est bleue.
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LEILA ZHOUR
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