RENDONS À ALAIN DELON CE QUI APPARTIENT À ALAIN DELON
Ce comédien de génie, a sans doute livré sa plus grande performance dans un rôle des plus exigeants :
celui du père absent et destructeur.
Ah, quel talent pour incarner ce personnage si complexe, qui, loin de se contenter d'une simple disparition, s'est appliqué avec une précision chirurgicale à démolir son propre fils, Ari. On ne peut qu'admirer la finesse de son jeu, révélant une jouissance presque artistique à l'idée de piétiner la chair de sa chair, comme un peintre obsédé par l'acte de détruire son propre chef-d'œuvre.
Mais ce n'est pas tout, car notre cher Alain, jamais à court d'inspiration, s'est aussi glissé dans la peau d'un père à l'équité redoutable, maniant le favoritisme avec une dextérité digne des plus grands illusionnistes. Le public a été captivé par ce spectacle où il dressait les membres de sa propre fratrie les uns contre les autres, faisant de sa fille sa muse, tandis que les autres, eux, n'étaient que de simples figurants dans cette tragédie familiale.
Et que dire de sa carrière parallèle de conjoint ?
Là encore, il a su se surpasser, plongeant ses compagnes dans les affres de la dépression avec une constance qui force le respect.
Alors oui, Alain Delon était un grand acteur, d’une beauté à couper le souffle. Et on ne peut que saluer son engagement total dans ce rôle de pervers narcissique, un costume qu'il n'a jamais quitté, même en dehors des plateaux.
Quant à l'épilogue de cette grande saga, l'héritage, il promet d'être un véritable chef-d'œuvre, à la hauteur de cette vie digne des plus grandes tragédies.
Après tout, Alain Delon ne fait jamais les choses à moitié.
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SAND ADETA
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Ari Boulogne
de son nom de naissance
Christian Aaron Pfaffgen
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Ari Boulogne
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Ari Boulogne
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Le fils errant.
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Il est le fils de la lumière et de l'ombre. La lumière, sa mère, s'est éteinte à Ibiza il y a treize ans, tombée de bicyclette. L'ombre est restée dans l'ombre. Depuis, Ari est dans le noir. Il voudrait partir au soleil. Il a 38 ans, pas d'argent, et la gueule de l'ombre. La même belle gueule, mais plus pauvre et plus marquée. Il a posé un cendrier au coin du lit. Tout se superpose dans ce petit appartement lézardé derrière la gare du Nord, qui abrite quelques-uns de ses paquetages, mais qui n'est pas le sien. Il vient d'écrire un livre, dont il espère qu'il assurera la pension complète à l'auberge de la fuite. Ça commence par l'unique nuit d'amour de l'ombre et de la lumière.
C'est ainsi qu'il voit ses parents. Ce n'est pas toujours ainsi qu'ils vivaient. Lumineuse Nico, superbe top-model devenue chanteuse, fille en blanc parmi les gars en noir du Velvet Underground, égérie d'Andy Warhol... Elle n'élèvera pas son fils, sera l'éclipse de son enfance, mère soumise aux noirs commandements de la drogue. Obscur Alain Delon, étoile du cinéma, père maintes fois raconté et qui, toujours, a nié. Tout le monde l'a désigné ce père, jusqu'à sa propre mère, remariée Boulogne, qui fit d'Ari son petit-fils, le coucha dans le lit de ce fils qu'elle ne voyait plus qu'à la télé, et le fit même adopter par son mari.
Au chauffeur de taxi, comme au client du troquet qui régulièrement ne peut s'empêcher d'affirmer sans même l'interroger, «Vous, vous êtes le fils d'Alain Delon», Ari Boulogne répond toujours: «oui.» Il ne formule dans son livre (1) ni reproches ni ultimatum, il les laisse à d'autres, et dit simplement «mon père». Il reconnaît avoir adouci quelques passages, à la demande de l'éditeur qui sait que les avocats de l'acteur sont prêts à mordre: «Le livre ne lui est pas adressé. Moi, je ne revendique rien, je ne demande rien. Mais qu'il ne m'accuse pas d'être un imposteur. Car dans ce cas-là qu'il prouve que je ne suis pas son fils, qu'il fasse un test sanguin.»
Il est l'enfant de l'underground. Il en reste des photos et des souvenirs capturés au gré des passages de sa mère. Le petit blondinet qui sautait sur les genoux d'Andy Warhol ou de Lou Reed. Le gamin qui adoucissait le regard de la police, lorsqu'elle faisait ses descentes à la recherche de la drogue. Celui encore qui s'est promené au jardin du Luxembourg en jouant avec les boucles de Bob Dylan qui l'avait pris sur ses épaules. Celui aussi qui traverse les films de Philippe Garrel. «J'ai choisi le camp de ma mère», dit-il. Ce n'est qu'à l'adolescence qu'il la retrouve vraiment, durablement. «Ambiance mortifère.» Vie faussement bohème, arrimée à la drogue. Ari plonge. Nico chante, Nico voyage, Nico sombre et puis Ari suit, enfile sa veste pour trouver rapidement de quoi la soulager. Ari dort tantôt chez les uns tantôt chez les autres, tantôt piaule glauque tantôt grand hôtel, laisse faire les aiguilles du tatouage au coin de ses yeux bleus, s'initie à la photo avec de grands noms. Tout l'argent part en poudre. La mort de sa mère en 1988 l'emmène jusqu'au fond. Nuits de SDF new-yorkais, crack, hôpitaux service psychiatrie, électrochocs, neuroleptiques. «J'ai fait ma dernière cure de désintoxication en 1993, c'était la bonne», dit-il. Ses nerfs semblent toujours à vif. Animal blessé, qui dilue son anxiété dans l'agressivité. A côté du lit, sous la soie noire, un coffre renferme l'orgue de Nico, «Elle nous écoute. La boîte est vivante. Ça tape parfois comme un coeur qui bat». Sa mère était son rêve impossible, son père un mur, ils fabriquèrent un gamin en état de manque.
Il eut de brèves rencontres avec Alain Delon. Forcément, puisqu'il est de la famille. Il a grandi à Bourg-la-Reine, passant et repassant derrière le comptoir du magasin de cadeaux de la grand-mère Boulogne, tout en rêvant de la planète pop de sa mère. Le plus important de leurs rares échanges se passe en 1986. Tombé par hasard l'un sur l'autre chez la grand-mère malade, Alain Delon emmène Ari à la station de métro la plus proche. Intérieur de la BMW: «Alain Delon, une main sur le volant, l'autre me tapotant l'épaule, me tient ce discours: "T'es mon pote, toi, t'es mon pote. Mais je vais te dire un truc, tu n'as pas mes yeux, tu n'as pas mes cheveux. Tu n'es pas mon fils, tu ne seras jamais mon fils. Je n'ai couché avec ta mère qu'une seule fois."»
Ari a mis beaucoup de temps à comprendre ce qu'il y avait d'étouffant dans le souci de sa grand-mère à vouloir tout redresser de son enfance tordue. A vouloir effacer Nico, «la mauvaise mère». Elle vivait dans le souvenir de l'attention qu'elle n'avait pas eue pour son propre fils, gamin solitaire qu'elle regardait désormais à la télé en s'écriant: «Mon dieu, il a de ces valoches sous les yeux.» Alain Delon n'a pas connu son père, parti refaire sa vie à deux pas dans la même banlieue, alors qu'il avait 4 ans. «Je l'ai vu, moi, attendre son bus devant le magasin de cadeaux, on m'a dit que c'était lui», se souvient Ari. Comme Delon, Ari a connu, de longues années, la discipline coupante du pensionnat catholique. Comme Ari, Delon connaît la recherche intérieure en paternité. «J'ai même appris récemment qu'il avait vécu dans une famille d'accueil, des gardiens de la prison de Fresnes, et qu'il jouait dans l'enceinte de la prison, je l'ai lu sur le site Internet Alain Delon», dit Ari.
Mais les gosses perdus ne se recherchent pas forcément. Une fois, Serge Gainsbourg, qui avait pris Ari sous son aile, le présenta à Antony, le fils d'Alain Delon, plus jeune de deux ans. Conclusion: «Mentalement, Antony ne semblait pas moins largué que moi, mais sa version du film filial était celle d'un gosse de riche. Il ne pouvait se rendre compte à quel point ses ressentiments à l'égard de son père, ou leurs déboires, ont pu m'apparaître comme un luxe.»
Le téléphone sonne, c'est sa tante, autre actrice du film filial, demi-soeur de Delon, un peu mère d'Ari, «le livre est sorti», lui dit-il. Sa compagne, Véronique, qui l'a aidé à écrire et avec laquelle il veut partir, est allée déposer leur enfant à la crèche. Charles est né au mois de mars 1999. «Je n'allais pas lui léguer une histoire sans nom. J'allais immédiatement le reconnaître à la mairie du XIe arrondissement», écrit Ari. Il lui a donné son nom, celui du gosse adoptif, Boulogne, il n'avait pas le choix. Mais Ari ne désespère pas de faire aboutir ses démarches, lui qui voudrait retrouver le patronyme de sa naissance, sa part allemande, sa part maternelle, le camp qu'il s'est choisi. Il voudrait s'appeler Päffgen. Effacer ce que les avocats d'Alain Delon appelèrent «les coïncidences morphologiques». En attendant, Ari, c'est tout ce qu'il revendique. Nico a choisi ce prénom parce que c'était celui de Paul Newman dans Exodus. «Dans l'esprit de ma mère, ce nom devait avoir le pouvoir d'effacer le péché de l'Allemagne.» Le prédestinait-il à l'errance?
Dehors, l'underground est remonté en surface, exposé dans les palais chic et officiels de l'art moderne. Plus au nord de la capitale, sa mascotte, Ari, est fauchée, vend de temps en temps à des particuliers quelques-unes de ses anciennes photos qu'il retouche à l'encre de chine. Dans son discman, il écoute les chansons de sa mère, unique mélodie de sa vie.
Ari Boulogne
nommé à sa naissance Christian Aaron Päffgen,
est décédé dans le plus total dénuement le 20 mai 2023
à l'âge de 60 ans...
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