LA RETRAITE SENTIMENTALE ... Extrait
« Quelle amertume d’abord, mais quel apaisement ensuite ! – de découvrir, – un jour où le printemps tremble encore de froid, de malaise et d’espoir, – que rien n’a changé, ni l’odeur de la terre, ni le frisson du ruisseau, ni la forme, en boutons de roses, des bourgeons du marronnier... Se pencher, étonnée sur la petite coupe filigranée des anémones sauvages, vers le tapis innombrable des violettes, – sont-elles mauves, sont-elles bleues? – caresser du regard la forme inoubliée des montagnes, boire d’un soupir qui hésite le vin piquant d’un nouveau soleil, revivre ! revivre avec un peu de honte, puis avec plus de confiance, retrouver la force....
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Vois, arrête-toi, cet instant est beau ! Y a-t-il ailleurs, dans toute ta vie qui se précipite, un soleil aussi blond, un lilas aussi bleu à force d’être mauve, un livre aussi passionnant, un fruit aussi ruisselant de parfums sucrés, un lit frais de draps rudes et blancs ? Reverras-tu plus belle la forme de ces collines ? Combien de temps seras-tu encore cette enfant ivre de sa seule vie, du seul battement de ses heureuses artères ? Tout est si frais en toi que tu ne songes pas que tu as des membres, des dents, des yeux, une bouche douce et périssable. Où ressentiras-tu la première piqûre, la première déchéance ?... Oh ! souhaite d’arrêter le temps, souhaite de demeurer encore un peu pareille à toi-même : ne grandis pas, ne pense pas, ne souffre pas ! Souhaite cela si fort qu’un Dieu, quelque part, s’en émeuve et t’exauce !... »
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COLETTE
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COLETTE