FEUILLES D'HERBE...Extrait
...Je suis le poète du corps,
Et je suis le poète de l'âme.
Les plaisirs du ciel sont avec moi, et les peines de l'enfer sont avec moi. . . .
Ceux-là, je les greffe et les accrois sur moi-même . . . . ceux-ci je les traduis en une langue neuve.
Je suis le poète de la femme mêmement que de l'homme,
Et je dis qu'il est aussi grand d'être une femme que d'être un homme,
Et je dis qu'il n'est rien de plus grand que la mère des hommes.
Je chante un nouveau chant de dilatation ou fierté,
Nous avons eu l'esquive et la dépréciation assez,
Je montre que la taille n'est que développement.
As-tu surpassé le reste? Es-tu le Président?
C'est vétille . . . . ils feront plus que d'arriver où ils se rendent chacun d'eux, et continueront de l'avant.
Je suis celui qui marche avec la tendre et croissante nuit;
J'en appelle à la terre et la mer à demi retenues de nuit.
Au plus serré presse-toi nuit dépoitraillée! Au plus serré presse nuit magnétique nourricière!
Nuit des vents du sud! Nuit aux rares étoiles larges!
Nuit qui toujours opine! Folle nuit d'été nue!
Souris ô volupté de terre en son haleine de fraîcheur!
Terre des arbres assoupis et liquides!
Terre du soleil couché retiré! Terre des montagnes entêtées de brume!
Terre du déversement vitreux de la pleine lune touchée d'un rien de bleu!
Terre d'éclat et de noirceur marbrant le mascaret du fleuve!
Terre du limpide gris des nuages plus vifs et plus clairs par amour de moi!
Terre aux bras d'arrondi démesuré! Riche terre efflorescente de pommeraies!
Souris, car ton amant approche!
Prodigue! tu m'as donné l'amour . . . . en conséquence, je te donne amour!
Ô indicible amour passionné!
Bourrade étroitement qui m'enlaces et que j'enlace étroitement!
Nous nous heurtons ainsi que l'épouse et l'époux se heurtent!
Toi mer! je me résigne à toi également . . . . je devine ce que tu veux dire,
Je scrute de la grève tes doigts crochus d'invitation,
Et suis d'avis que tu refuses de repartir sans avoir sentiment de moi;
Il nous faut rouler tout ensemble . . . . je me dévêts . . . . ravis-moi hors de vue des terres . . . .
Sois-moi coussin moelleux . . . . berce-moi par langueur de lames,
Étrille-moi d'amoureuse humeur . . . . j'ai de quoi te repayer.
Mer aux distensions de houles!
Mer respirant par vastes souffles convulsifs!
Mer de la saumure de vivre! Mer des tombes qui béent sans que les aient creusées la pelle!
Hurleuse et gouge des tempêtes! Capricieuse et précieuse mer!
Je suis d'un seul tenant avec toi . . . . je suis également d'une phase et de toutes phases.
Participant du flux et du reflux, laudateur de la haine et de la conciliation,
Laudateur des amis et de ceux-là qui dorment dans les bras l'un de l'autre....
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WALT WHITMAN
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