L'ATTITUDE DE LA FRANCE VIS A VIS DU TIBET...
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Dans ce qui apparaît comme un souci de préserver son "partenariat stratégique et global" avec Pékin, la France a adopté, face aux événements du Tibet, une attitude en retrait par rapport à d'autres pays européens. Paris n'a pris aucune mesure concrète pour protester contre la pire vague de répression menée par les forces de l'ordre chinoises dans la "région autonome" depuis deux décennies. Un important déploiement militaire se poursuivait, vendredi 21 mars, au Tibet. Le bilan des violences de la semaine écoulée s'élèverait à plusieurs dizaines de morts.
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Le dalaï-lama se dit prêt au dialogue avec Pékin
Le dalaï-lama s'est dit prêt, jeudi 20 mars à Dharamsala (Inde), où il vit en exil, à rencontrer le président chinois Hu Jintao s'il reçoit des "indications concrètes" que Pékin est disposé à dialoguer. Dans un signe supplémentaire de conciliation à l'égard de la Chine, le chef spirituel des Tibétains a assuré avoir "toujours été prêt à rencontrer les dirigeants chinois, en particulier Hu Jintao", même s'il a reconnu que la perspective de se rendre à Pékin n'était actuellement "pas pratique". Vendredi, le dalaï-lama a accueilli Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre des représentants des Etats-Unis. "Nous sommes venus vous rejoindre ici aujourd'hui en une triste occasion, pour faire apparaître la lumière de la vérité sur ce qui se passe au Tibet", a lancé Mme Pelosi à une foule de plusieurs milliers de Tibétains. - (AFP.)
L'attitude française tranche avec les positions adoptées par le Royaume-Uni et l'Allemagne, illustrant la difficulté des Européens à élaborer une position commune forte. L'Union européenne (UE) s'est limitée à appeler les "parties" à la "retenue". Dans un revirement diplomatique notable, le premier ministre britannique, Gordon Brown, a annoncé mercredi qu'il recevrait le dalaï-lama au mois de mai à Londres - une annonce qui a suscité une vive réprobation de Pékin. Berlin a annoncé le même jour le gel de discussions bilatérales avec la Chine sur les questions de "développement", en signe de protestation face à la situation au Tibet.
La crise du Tibet place ainsi la diplomatie de Nicolas Sarkozy en position délicate, alors que la défense des droits de l'homme avait été présentée comme une priorité du chef de l'Etat, y compris lors de son voyage à Pékin en novembre 2007, au cours duquel d'importants contrats économiques ont été signés.
La ligne française a consisté à demander un meilleur accès des journalistes au Tibet et à appeler à un dialogue direct entre les autorités de Pékin et le dalaï-lama, perçu comme une force de modération qu'il convient de soutenir face à une jeune génération tibétaine plus radicale.
Mais ce soutien ne s'accompagne d'aucune disposition claire à recevoir le chef spirituel tibétain au plus haut niveau à Paris - alors qu'il doit séjourner en France pendant plusieurs jours au mois d'août, au moment des Jeux olympiques. M. Sarkozy le rencontrera-t-il ? Interrogé sur ce point, l'Elysée a répondu vendredi matin : "La question sera tranchée le moment venu en fonction d'un ensemble de paramètres." Le dalaï-lama avait été reçu en septembre 2007 à Berlin par la chancelière allemande Angela Merkel, ce qui avait entraîné une crise diplomatique de plusieurs mois avec Pékin.
On explique à l'Elysée que le plus fort de la répression est passé, que l'ordre semble en passe d'être rétabli au Tibet et que plutôt que de faire le jeu de l'aile "dure" du pouvoir chinois en intensifiant les critiques, il convient d'anticiper la phase "d'après", lorsque certains "modérés" à Pékin pourraient reprendre la main sur le dossier tibétain et engager un dialogue. "La France fait le pari de la Chine", souligne-t-on dans l'entourage de M. Sarkozy, où la coopération de Pékin a été saluée sur des dossiers comme le Darfour ou le nucléaire iranien.
L'Elysée confirme en outre que la France - contrairement à d'autres pays européens, notamment l'Allemagne - reste favorable à une levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine, qui avait été décidé au lendemain du massacre de Tiananmen de 1989. Autre gage donné à Pékin, Paris a réitéré jeudi sa position à propos de Taïwan : "Pour la France, il n'y a qu'une seule Chine. Taïwan fait partie intégrante de la Chine", a dit la porte-parole du Quai d'Orsay. M. Sarkozy avait expliqué en novembre 2007 que sa diplomatie auprès des Chinois tiendrait du "donnant-donnant" et qu'en rassurant Pékin sur certains points, il se ménageait une marge de manoeuvre pour parler "franchement".
Mais l'Elysée n'a produit aucun communiqué sur les événements au Tibet. A l'inverse, le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, s'est entretenu par téléphone le 16 mars avec son homologue chinois, réclamant un arrêt des violences au Tibet, et Gordon Brown a eu un échange avec le premier ministre chinois Wen Jiabao, le 19 mars.
Au Quai d'Orsay, la "communication" sur ce dossier a paru fluctuante, voire contradictoire. Le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, a qualifié l'idée de boycottage de la cérémonie d'ouverture des JO d'"appréciable", avant de souligner qu'elle était "irréaliste". Plus tard, il a commenté qu'en dépit des événements à Lhassa, "les Chinois" avaient fait "des progrès formidables" en matière de droits de l'homme.
Alors que Londres venait de se placer en pointe sur le Tibet, l'Elysée a laissé la secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, Rama Yade, déclarer, jeudi, que "la communauté internationale" tirerait "les conséquences" d'une dégradation de la situation au Tibet, mais sans annoncer de geste concret. L'Elysée dit vouloir "promouvoir une position de l'Union européenne qui donnerait plus de force à notre message". M. Sarkozy se rendra en tout état de cause aux Jeux olympiques, car il en a pris l'engagement le 26 novembre à Pékin, devant le président Hu Jintao.
Article paru dans l'édition du 22.03.08.