LETTRE 2
On dirait… une fleur qui s'épanouit, rose et blanche.
C'est une main d'où croît un pilier de frémissante chaleur.
C'est ta main qui exorcise l'imperceptible évanescence des choses.
C'est une main qui bénit.
Son souvenir me permet de rester un homme.
Sa
réalité me permet de rester ce chat immense qui fredonne avec gêne ses
chants de guerre, sous le torrent de son défi silencieux.
Elle me
fait penser à ces bêtes enfermées dans leur cage par un jour torride,
auxquelles se révèle un torrent de blancheur d'espoir qui ne permet
plus aux yeux de se fermer une fois qu'ils sont ouverts.
Par le
toucher du plus silencieux des parfums, elle me fait vivre, où que je
me réveille, en suivant ce chemin parmi les squelettes écrasés par le
temps.
Ô, touche les choses avec elle, touche le ciel rempli
jusqu'au bord d'éternité, touche l'indifférence du corps des morts,
touche les gens alentour et transforme-les en un seul torrent de
chaleur frémissante qui avance en silence.
Fais, avec le lys de ta
main, une tente blanche, comme la tente des armées d'archanges, comme
la tente du vert scarabée, et laisse-moi y dormir pour que, dans mon
rêve, j'évite ce chemin qui se prolonge dans l'irréel, pour que je
m'endorme en toi, que je m'éveille en toi, vainqueur de cet homme en
manteau lilas qui, chaque soir, me rend visite et, avec son visage de
pierre, me raconte la terrible histoire et nomme nom par nom la
mesquinerie et Satan.
Krzysztof Kamil BACZYNSKI (1921-1944)
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OEUVRE KHALIL GIBRAN