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EMMILA GITANA
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24 juillet 2009

CE BEAU SEIN ROND EST UNE COLLINE...

 

Je ne pourrai jamais retrouver le vrai visage de ma terre: cet oeil pur des enfants, je ne l'ai plus.
Quand j'étais tout petit, je jouais, puis j'avais faim. Ma mère taillait alors une plate tartine de pain, elle la saupoudrait de sel, elle l'arrosait d'huile par un large 8 de la burette penchée; elle me disait: «Mange.» Ce sel, il me suffisait de humer le vent odysséen; il était là avec l'odeur de la mer; ce pain, cette huile, les voilà tout autour dans ces champs de blé vert dessous les oliviers. Ainsi, s'est aiguisée de longue habitude l'ardente faim de mon coeur.
Jamais assez de ce pain...
Jamais assez de ce sel, de cette huile, ma mère.
Avec mes joies, avec mes peines, j'ai mâché des quignons de ma terre; et maintenant, la ligne où se fait le juste départ, la ligne au-delà de laquelle je cesse d'être moi pour devenir houle ondulée des collines, la ligne est cachée sous la frondaison de mes veines et de mes artères, dans les branchages de mes muscles, dans l'herbe de mon sang, dans ce grand sang vert qui bout sous la toison des olivaies et sous le poil de ma poitrine.

Ce beau sein rond est une colline; sa vieille terre ne porte que des vergers sombres. Au printemps, un amandier solitaire s'éclaire soudain d'un feu blanc, puis s'éteint. Du haut du ciel, le vent plonge; la flèche de ses mains jointes fend les nuages. D'un coup de talon, il écrase les arbres et il remonte. Parfois, un aigle roux descend des Alpes, mais l'air des plaines proches ne le porte plus; il nage à grands coups d'aile et il crie comme un oiseau naufragé.
Si on quitte le chemin, il y a des olivaies envahies par les roses. C'est comme une peau de bélier qu'on a jetée sur les arbres. C'est épais et ça saigne. On a chaud là-dessous d'une lourde chaleur de laine; l'herbe sue. Pour sortir de cette ombre, il faut s'écorcher les mains. Un mois après, on trouve une rose séchée dans sa poche.
De grands talus se chauffent au midi, fleuris de serpents immobiles. Les lézards sont épais comme le bras. Ils dorment au soleil puis sautent, happent, et mâchent longuement des abeilles à goût de miel. Ils en pleurent des larmes d'or qui grésillent sur la pierre brûlante. La lagremuse est toute grise, avec des pattes comme un fil, une queue qui semble une ombre; mais elle a un coeur énorme, un coeur déchaîné dans elle comme un orage et elle en est là, palpitante. Un mariage de gros frelons assomme les scabieuses de son vol aveugle. Les sauterelles se déclenchent et passent tout éperdues dans un saut puis elles ouvrent leurs ailes rouges. Une caravane de fourmis, large comme une route d'homme, coule sous les feuilles. Une procession de chenilles adore lentement un pin dans ses spirales. Une maison aux murs en coque de noix, bombés et ocre, craque doucement, écrasée sous sa charge de tuiles, de poutres et de soleil. L'ombre transparente des oliviers tient dans sa toile d'araignée la sieste d'une toute petite fille. Elle dort dans l'herbe chaude. Elle a remonté toutes ses robettes et, sans ouvrir les yeux, elle gratte à pleine griffe son ventre sucé par les mouches. Un chevreau lutte avec une guêpe. L'odeur du thym fume jusqu'à la lune. Un beau nuage s'est envasé dans un bras mort du vent; il ne peut plus arracher sa proue de l'azur immobile et, à bout de forces, il ondule lentement de la poupe

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JEAN  GIONO

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Commentaires
T
Quel plaisir de relire Giono et sa symbiose avec les éléments de dame Nature! Bonne ifn de soirée chal-heureuse!
Répondre
EMMILA GITANA
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