ORACLES DES VIEILLES EAUX
Le désir fou d'être là,
A remonter sur ta nuque
L'épais drap de mer,
A lire, à rebours,
Ton cadastre d'écume.
Le temps est si lent
Qui trace sur ton dos
Son abécédaire de vent.
Le temps est si lent
Que poussent sous ses doigts
La fleur de l'oranger,
Une langue commune,
Une promesse de ciel
Pour les oiseaux.
Vaste papyrus, la mer,
Sans cesse,
Dessine ses rouleaux,
Dépoussière les langues,
Déroule bras et nageoires.
Cellules, tourbe, sable,
Sel, sang, oeillets pourpres,
Se frottent et s'épousent.
La caresse remonte le courant,
Chaque écaille, chaque vague
Lues.
C'est comme si,
Annulant les distances,
Tout s'embrassait d'un coup :
L'air immense,
Le murmure des chrysalides,
Les cohortes d'algues
Et de vertèbres.
Substances imparfaites,
Indices flous,
Ce qui marche dans la mer
Allume les étoiles.
Les pôles exhument
Leurs vieilles neiges,
Attèlent glaces et fossiles
Aux abruptes parois du ciel.
Les saisons rangent leurs fruits,
S'habillent de neuf,
Prophétisent la modestie
De l'arbre.
La pluie aura cent mille ans
Et c'est elle qui, chaque jour,
Abrite l'étreinte,
Lève des nuées de jardins.
Plus qu'un passage,
C'est un gîte, ici,
Qui se souvient.
Il connaît chaque limon,
Chaque étincelle,
Chaque mot.
Il sait le grand charroi
Des souffles,
Le pouls des hémisphères,
La danse des pollens.
Divine patience
Qui libère les souches,
Tamise les astres,
Adoube les atomes.
La caresse remonte
Le long de ton dos
Si lentement
Que des continents
Se séparent.
La caresse remonte
Le long de ton dos
Et je suis fou
D'être là,
Oracle des vieilles eaux.
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BRIGITTE BROC
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