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EMMILA GITANA
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28 janvier 2010

SYTO CAVE

Ma

place parmi les vivants.

 

C'était ça, Thurgeau? Une plaisanterie!

L'ancienne maison a vacillé, puis est tombée de toutes

ses colonnes et de son grand balcon, comme quelqu'un

ayant l'air de demander pardon au temps. C'est ce

qui s'appelle un séisme, un vrai! Il a parcouru la

ville et une bonne part du pays. Il a mangé plein de gens.

 

Mangé! Littéralement! C'est-à-dire: Moulu! Avalé!

Ceux qu'il a laissés dehors, les autres morts, sont

alignés sur les trottoirs, certains à découvert, d'autres

enveloppés dans des draps ou du plastic

blanc.

 

Les

églises aussi sont agenouillées: La Cathédrale,

Saint-Anne, Saint-Louis-Roi-De-France, Saint Joseph.

Quelques fidèles prient haut et fort. Une prière en

colère, d'autres le font à voix basse, dans leur

cœur. Le Christ, qu'on croyait en équilibre précaire,

est resté perché sur son socle au fond de l'église du

Sacré-cœur, impassible solitaire au milieu des

ruines.

 

Rue

Thoby, dans la zone de Frères, on a recueilli le corps de

deux de mes tantes paternelles sous des décombres.

L'une d'elles qui était aussi ma marraine

s'apprêtait à fêter son centenaire. “ Il ne me

reste qu'une dent, disait-elle. En mars, si Dieu me

prête vie, je vous la montrerai dans un large sourire”

Adieu ma belle!

 


Il fait

lourd. Difficile de marcher. On a la tête encombrée de

morts. Chaque jour, le nombre augmente. Et les secousses

n'arrêtent pas. On est sur le qui-vive. Elles peuvent

s'étendre jusqu'à trois mois, six mois, un an. Qui

sait?

 


Ma

mère et ses deux sœurs ont été sauvées de justesse par

l'un des mes fils et un neveu qui ont dû les forcer à

sortir, car elles ont eu peine à croire que la maison

s'écroulait. Elles sont aujourd'hui à l'abri

chez l'un de mes frères, à l'abri, mais perdues,

sans repères, ne parlant jour et nuit que de retourner chez

elles.

 


 

Un

proche a vu mourir cinq cents de ses employés sous

l'effondrement de sa manufacture.

 


Un

bébé de vingt- deux jours a été repêché vivant au bout

d'une semaine sous des décombres.

 

Et

puis, il y a l'immense majorité avec ses morts, ses

sans-abri, et d'autres morts qui s'ajoutent à la

liste des morts du séisme: Ceux qui sont morts, la veille

ou après, et ne trouvent pas leur place de mort à part,

avec cette singularité qui leur est dûe: Pompe-funèbre,

convoi,  messe, chant et oraison. Toutes

les morgues sont engorgées, les cimetières dévastés. Il

faut créer des fosses communes.

 


Il y a

aussi les rats, qui sont des gens, s'échappent des

prisons, s'attaquent à la popuation. Le chef de la

police a promis de les traquer. Et la ministre de la culture

et de la communication leur aurait, semble t'il,

demandé, dans un appel radiophonique de regagner

gentillement leur cellule.

 

Quelqu'un m'a appelé hier pour me demander

si je suis mort. Absolument, ai-je dû

répondre.

 

Une

amie m'a suggéré d'écrire, comme pour reprendre

ma place parmi les vivants

.


                                                         SYTO  CAVE                                                    

 


Port-au-prince 23 janvier 2010

.

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Commentaires
A
Je n'ai pas de mots pour dire à point ces textes me touchent. Je suis anéantie...<br /> J'ai déjà vécu 2 très très faibles séïsmes, quasi sans dégats matériels et j'ai compris l'angoisse contenue dans l'expression "le sol se dérobait".<br /> <br /> Notre terre, qui accueille nos pas, nos corps, fait soudain défaut et devient meurtrière. Terrible !
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EMMILA GITANA
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