LES HAUTES HERBES...Extrait
Plus encore que la notion de jachère ou de friche, me requiert donc
celle de mauvaise herbe que l'on s'acharne à déterrer et faire
disparaître des plates-bandes, des rangées ou des allées de jardins
potagers. Mauvaise herbe qui ne répond à aucune nécessité positive, qui
pousse ça et là comme un parasite, inutile, vivace et surnuméraire, qui
croît et ne produit rien qui vaille, se développe et prolifère à tout
va, gratuitement. Mauvaise graine d'errantes graminées qui
ne germe et ne s'épanouit que pour le plaisir, pour jouir de la vie et
se multiplier librement, profiter de la terre et du temps qui court, des
terrains vagues, des bouts d'espace vierges, oubliés par le monde et
les sociétés humaines... Graine de voyou ou de bohémien toujours en
quête de bonheurs immédiats et de gains faciles, oublieuse des lois et
des devoirs temporels, sourde à toute idée de bien commun ou d'intérêt
supérieur, ivre de vacances et de latitudes infinies ... Ivraie qu'il
faut soi-disant séparer du bon grain pour ne pas gâter la récolte, de
même que l'on sarcle, arrache, extirpe le chien-dent, le séneçon et
autres plantes néfastes aux cultures, afin de garder celles-ci propres
et prospères... Mauvaise herbe, enfin, dont je voudrais être et me sens
proche, espèce impropre à la consommation ou à quelque emploi que ce
soit sur la terre, n'ayant d'autre raison d'être que celle de vivre un
peu, tant bien que mal, comme dit la chanson de Brassens, et de mener à
son terme, de la façon la moins malheureuse, l'existence qui lui est
échue par accident dans le champ restreint de l'espace et du temps
présent, tendu, comme un filet de brume, au-dessus du néant.
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HUBERT VOIGNIER
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