Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
EMMILA GITANA
Visiteurs
Depuis la création 1 634 085
Newsletter
Archives
17 avril 2010

PRIERE A L'INCONNU

Voilà que je me surprends à t'adresser la parole,

Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes

Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotantes.

Je regarde les autels, la voûte de ta maison,

Comme qui dit simplement: voilà du bois, de la pierre,

Voilà des colonnes romanes.

Il manque le nez à ce saint.

Et au-dedans comme au-dehors, il y a la détresse humaine.

Je baisse les yeux sans pouvoir m'agenouiller pendant la messe,

Comme si je laissais passer l'orage au-dessus de ma tête.

Et je ne puis m'empêcher de penser à autre chose.

Hélas ! j'aurai passé ma vie à penser à autre chose.

Cette autre chose, c'est encore moi.

C'est peut-être mon vrai moi-même.

C'est là que je me réfugie.

C'est peut-être là que tu es.

Je n'aurai jamais vécu que dans ces lointains attirants.

Le moment présent est un cadeau dont je n'ai pas su profiter.

Je n'en connais pas bien l'usage.

Je le tourne dans tous les sens,

Sans savoir faire marcher sa mécanique difficile.

Mon Dieu, je ne crois pas en toi, je voudrais te parler tout de même.

J'ai bien parlé aux étoiles, bien que je les sache sans vie,

Aux plus humbles des animaux, quand je les savais sans réponse,

Aux arbres qui, sans le vent, seraient muets comme la tombe.

Je me suis parlé à moi-même, quand je ne sais pas bien si j'existe.

Je ne sais si tu entends nos prières, à nous les hommes,

Je ne sais si tu as envie de les écouter.

Si tu as, comme nous, un cœur qui est toujours sur le qui-vive

Et des oreilles ouvertes aux nouvelles les plus différentes

Je ne sais pas si tu aimes à regarder par ici.

Pourtant je voudrais te remettre en mémoire la planète terre

Avec ses fleurs, ses cailloux, ses jardins et ses maisons

Avec tous les autres et nous qui savons bien que nous souffrons.

Je veux t'adresser sans tarder ces humbles paroles humaines

Parce qu'il faut que chacun tente à présent tout l'impossible.

Même si tu n'es qu'un souffle d'il y a des milliers d'années

Une grande vitesse acquise

Une durable mélancolie

Qui ferait tourner encore les sphères dans leur mélodie

Je voudrais, mon Dieu sans visage et peut-être sans espérance

Attirer ton attention parmi tant de ciels vagabonde

Sur les hommes qui n'ont pas de repos sur la planète.

Écoute-moi ! Cela presse. Ils vont tous se décourager

Et l'on ne va plus reconnaître les jeunes parmi les âgés

Chaque matin, ils se demandent si la tuerie va commencer.

De tous côtés, l'on prépare de bizarres distributeurs de sang de plaintes et de larmes

L'on se demande si les blés ne cachent pas déjà des fusils.

Le temps serait-il passé où tu t'occupais des hommes ?

T'appelle-t-on dans d'autres mondes, médecin en consultation,

Ne sachant où donner de la tête

Laissant mourir sa clientèle ?

Écoute-moi ! Je ne suis qu'un homme parmi tant d'autres.

L'âme se plait dans notre corps,

Ne demande pas à s'enfuir dans un éclatement de bombe.

Elle est pour nous une caresse, une secrète flatterie.

Laisse-nous respirer encore sans songer aux nouveaux poisons

Laisse-nous regarder nos enfants sans penser tout le temps à la mort.

Nous n'avons pas du tout le cœur aux batailles, aux généraux.

Laisse-nous notre va-et-vient, comme un troupeau dans ses sonnailles,

Une odeur de lait frais se mêlant à l'odeur de l'herbe grasse.

Ah ! si tu existes, mon Dieu, regarde de notre côté.

Viens te délasser parmi nous.

La terre est belle, avec ses arbres, ses fleuves et ses étangs,

Si belle, que l'on dirait que tu la regrettes un peu

Mon Dieu, ne va pas faire la sourde oreille

Et ne va pas m'en vouloir si nous sommes à tu et à toi

Si je te parle avec tant d'abrupte simplicité.

Je croirais moins qu'en tout autre en un Dieu qui terrorise.

Plus que par la foudre, tu sais t'exprimer par les brins d'herbe

Et par les jeux des enfants et par les yeux des ruisseaux.

Ce qui n'empêche pas les mers et les chaînes de montagnes.

Tu ne peux pas m'en vouloir de dire ce que je pense

De réfléchir comme je peux sur l'homme et sur son existence

Avec la franchise de la terre et des diverses saisons

Et peut-être de toi-même dont j'ignorerais les leçons

Je ne suis pas sans excuses

Veuille accepter mes pauvres ruses

Tant de choses se préparent sournoisement contre nous

Quoi que nous fassions, nous craignons d'être pris au dépourvu

Et d'être comme le taureau

Qui ne comprend pas ce qui se passe

Le mène-t-on à l'abattoir

Il ne sait où il va comme ça

Et juste avant de recevoir le coup de mort sur le front

Il se répète qu'il a faim et brouterait résolument

Mais qu'est-ce qu'ils ont ce matin avec leurs tabliers pleins de sang

A vouloir tous s'occuper de lui ?
.

JULES  SUPERVIELLE

.

monastere_m

Commentaires
EMMILA GITANA
Tags
Derniers commentaires