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EMMILA GITANA
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19 mai 2010

NUEES ARDENTES...Extrait

Comme une angoisse ancestrale qui soudain s'épanche de la colonne vertébrale pour inonder l'espace sensible du corps jusqu'à ébranler les plus intimes convictions, et qui force ainsi le seul recours au qui-vive extrême, surgit, sous un des innombrables craquements qui parsèment telles les bouées meuglantes la profondeur des océans que sont nos terres la nuit - sinistre craquement, perçu, en cet instant, dans toute son unicité élective -, l'étrange ombre macabre.
Elle est là. Aussi énorme de sourde terreur potentielle qu'à sa première éruption dans la nuit des espaces enfouis, aussi imprécise de forme qu'elle suggère en un incessant jeu kaléidoscopique pétrifiant à la fois toutes les figures possibles de mes horreurs secrètes.

Et elles s'approchent, déjà démultipliées, lentement glissant sur les champs encore printaniers des consciences, et je les darde de mon regard, cloué, comme si j'étais le témoin impuissant d'inéluctables exécutions, les miennes.

Accroupi sur le mur païen depuis d'innombrables siècles, je contemple la luminescence obscure d'une sorte de brouillard étendu au creux d'une combe, et qui s'écoule de ma bouche édentée en un long filet, enlace mes lambeaux de chairs grouillantes pour noyer mon assise, pourrie par l'attente, dans une vague mare blanchâtre chavirant sans fond.

Rien ne se passe, que l'épanchement sans fin de cette coulée; que rien ne se fasse surtout, pourquoi cesser de bailler aux rivières notre surplus d'étoiles?

Il fut particulièrement surpris de penser, quoique ce saisissement de la conscience ne durât point. Cet effort lui demandait des forces qu'une trop longue veille d'offrande sous la stupéfaction avait taries.

Parfois un sursaut, et il cherchait vainement à dérober du regard les ineffables larmes-fleuves qu'il discernait au sein du brouillard ruisselant pour s'en altérer. Mais il ne savait trop si cette exhalaison particulière tenait du liquide ou du diaphane. Plusieurs fois, au cours de ses règnes, il avait déjà été tenté de plonger ses miettes à cette source prometteuse. Un instant d'intense agitation, bref comme l'éclair frappant alors les coups de barre du palais flottant. Mais ce n'était que pour se retrouver à l'endroit, dans la même position, l'humidité de l'attente rongeant toujours ses cellules en manque d'éblouissements.

Tangage. L'illusion d'avancer, alors que tout porte à rester sur place pour le naufrage ultime.

La fatigue intense, refluante, et plus férocement encore, l'engourdissait insidieusement comme le plongeur manquant les paliers de la remontée. Tout effort de clarté se soldait par des lambeaux plus nombreux de chairs tombant à même les rocs.
Pourquoi la soif intense pour cette chose qui pourtant s'écoule de moi?

Cette soif, qui avait fini par glisser le long du fleuve de ses assouvissements, l'inondait maintenant comme la chaleur brûlante d'un étang asséché. Vidé de cet aiguillon, il disparut bien vite à nouveau dans l'indécise offrande des miettes de son temps.

Il rêva d'un champ de pensées qui tout autour de lui s'étendait à perte de vue : un tapis-ilôt, saturé de jaune par le vol des corbeaux, de mauve par le précipice des cieux, une surface irradiée d'une luminosité sans pareille que les pores aux vantaux larges ouverts sustentaient - et il ne s'étonna pas, l'ivresse montait, comme la sève tend l'arc des bourgeons, elle recueillait, sans qu'il ne s'en rende compte en ce sommeil profond, un à un les limbes défrichées par ses passages à travers la matière. Délicatement circonscrite, phosphorescente, une de ces limbes, alerte, vint à envahir le champ de sa vision, ceignait imperceptiblement sa conscience assoupie. Et il vit, sous l'effort monumental qu'il devait déployer pour résister à l'assaut de cet affleurement - simple réflexe vital - une tasse, joliment fumante, qu'un juste coup d'œil transforma en baignoire, havre de tous les paradisiers. Tout en s'essuyant avec panache - ce n'était pas tous les millénaires qu'il courait éperdument cette chance de pouvoir éponger la sueur de son inactivité - il avala l'eau brumeuse dans laquelle il se trouva soudain à nager.
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CLAUDE  BOMMETZ

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