TAHAR BEN JELLOUN
J'arpente
l'abîme.
Je descends. Je suis suspendu.
Les cendres fument encore. Elles montent, m'enveloppent puis
retombent,
poussière grise qui fait de mon corps un sablier.
Je suis friable. Je suis une vieille roche délaissée.
Je suis sable et temps.
Je suis sans visage.
Je nourris la terre et verse mes paroles dans le sang de la
terre.
J'irrigue les racines d'arbre au printemps tardif.
Je compte les jours et les morts pendant que des hommes
transportent leur maison sur le dos.
(....)
Ni le citronnier,
ni l'absinthe, ni la nuit, mais l'absence :
une robe mouillée posée sur un banc de pierres blanches ;
c'est la mémoire des mains séparées de la terre et du visage :
et la terre est un visage
et l'arbre est une voix
et le manteau un ciel lavé de ses nues.
(...)
Est-ce l'arbre ou
l'infamie des longues insomnies qui se penche
pour épeler les déchirures du temps ?
Une parole chute lentement dans une tombe où s'accumulent les
matins de crépuscule.
Ce corps éternel
est une rive qui avance : la mer est là, à ses pieds.
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TAHAR BEN JELLOUN
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