TUNISIE DE LA GRÂCE...Extrait
« …Et la Grâce plus belle encore que le beauté »
Terre de lumière
terre de l’homme en son jour
je te célèbre
je te révèle
je te sacre
en t’imposant comme une couronne mystique ce nom
Terre de la Grâce.
Je ne chanterai pas l’arabesque
la couleur ni le monument d’or ancien
mais une forme de vie simple
à ras de plaine et de mer sous le soleil
mais le geste et la parole ordinaires
vifs et affleurant des plus vieux âges
mais la gloire sublime et pauvre de l’homme
en la stature naïve et souveraine qu’il reçoit de toi
Terre de l’homme en son jour.
Soit ma parole sans apprêt
vêtue de jour et d’ombre purs
pour la prière et le salut.
et soient éteints les plus grands feux
afin que brûle seul sous la cendre des siècles
l’amour secret humble nu
En une île de palmes et d’eaux vives
un homme aveugle et retranché
psalmodiait la plainte humaine
je les ai connus
ils m’ont connu
ils m’ont reconnus
à cause du visage de Dieu
Ainsi chante à bout de misère l’Espérance
qui ne fonde pas l’homme sur l’homme.
Le visage nul ne le voit
mais sa lumière forme ce monde
comme un poème le plus beau
O Présence présence de l’Unique dans le Rien.
A d’autres terres des hommes
Lucifer et l’Esprit violent
Prométhée avec le fer et le feu dans son poignet
A d’autres terres l’immensité continentale
le limon et la forêt franche plus profonds que l’océan
et les rivières embourgeoisées avec les fleuves impériaux.
A toi la mesure du cœur
le rire expirant en sourire perdu
et la distance intérieure où l’esprit
se retrempe en sa source d’enfance.
Ta gloire passe toute gloire
et ta grandeur toute grandeur temporelle
car tu as charge de l’homme.
Jeune femme en trône sur la mer
sise à la croix des cours éternels
Amphore de glaise vulgaire mais
par Dieu même pétrie
d’huile essentielle et de soleil
tournée au galbe canonique dont toute forme belle est l’écho
le premier Souffle en toi continu
vibre encore des promesses de la Genèse.
Tu es chaste en ta perfection
dure à défendre ton secret
mais suave en tes paroles et débonnaire
naïves en tes ruses et fraîche
comme la chute du soir au désert
ouverte à tous les vents comme la rose
et comme une maison sans maître.
Qui passe ton seuil reçoit des anges épars
la science informulée des hautes Convenances.
Qui t’as vu une fois t’embrasse pour toujours dans son regard
et te contient toute entière dans son cœur
comme l’épouse de son destin
Que d’autres pour ton louage hissent en triomphe
le grand pavois des vocables de cérémonie.
Mais plus belle liturgie veut être ainsi la plus pauvre
formée de mots orphelins a qui tu donnes une patrie
les mots ouvriers de l’âme
l’encens des formules communes
mais sous ton ciel dans ta lumière
ils retrouvent la frappe et le vif de l‘innocence.
Peuple de ce jour et de demain
Peuple de très haute ascendance
Chacun de tes hommes est comme le monument de lui-même.
Je sais les anciens temples d’or et de miel
et les temples d’Islam sculptés dans la matière du jour
mais pour ma prière je ne veux point d’autres parvis
que tes plaines de cendre rose
ni d’autel
que les montagnes d’opale de lapis et d’hyacinthe
dans la distance
où l’homme perdu noyé de misère
rejoint son essence qui est souffle pur
et sa patrie l’œil de Dieu pleuvant en lumière
au cœur de l’abandonnement.
Ces champs de paix où les tombes
comme des fleurs blanches et bleues
parmi les herbes où le sable déclinant vers la mer
naissent puis lentement s’effacent et se fondent au sable
rien ne marque leur borne…
Ici le geste humain est tel que d’une danse
De tous connue et pratiquée par un savoir très ancien.
Sa marque distinctive se transmet d’âge en âge
en un ordre sacré qui scelle le nom d’homme :
KOUN RAJEL.*
Ainsi l’homme arrivé pousse l’enfant vers l’homme
désignant l’origine et l’horizon.
Au vif d’un temps de fer ou Caïn forge sa revanche
dans le déhalement des mers et des continents
voici les chants profonds des descendants d’Abel.
Au cœur de ce jour neuf de temps ancien reste vivant
Seigneur et frère au nom de Dieu est l’Etranger
Le maître sur son seuil tel un prêtre à l’autel
s’incline pour l’accueil et le baiser de la paix.
Dans ce recoin de l’ombre où ma mémoire est prise
un enfant m’attendait il ne me reconnaît pas.
Moi je le reconnais au puits de son regard
terrible en sa douceur d’étoile palpitante
immobile sur l’horizon du temps profond.
Que dira l’homme d’âge ployant sous des images
pour lui seul sacrées et pour lui seul surgies
de la mer des jours morts
à la mort arrachée par poignées dans le désir et le regret.
Le vent m’emporte avec le sable sans retour
mais les lieux absolus où réside à jamais
l’ombre de mon enfance bravent le temps rongeur
tant qu’un mur blanc marque d’un signe pur
la couture insensible qui lie la terre au ciel
et la ville vivante avec le champ des morts.
Très loin dans la distance je vois ces cités saintes
formées de blocs de jours maçonnées de nuit pure
tant d’oiseaux et d’enfants piaillent parmi les fruits
le front taurin d’une marée d’hommes en marche
tournant le dos aux nostalgies des temps anciens.
Ont-ils rompu le Sceau brisé la Loi secrète
et noyé l’Arche antique ou la forme de l’homme
comme graine première et semence éternelle
préfigurait le pas et l’ordre et l’aventure
même de tout enfant né sous ce ciel.
Que la mer monte et le printemps vers l’avenir.
Mais le ciel en ce lieu conjurant tout désastre
conciliera la loi des anciens sanctuaires
avec les jeux nouveaux du compas et du plomb.
Les fleurs d’acier et les fleurs de verre
et les constellations profanes au long des plages
vous mangeront déserts steppes et plaines
et vous jardins étagés sur la mer
occultant Betelgueuse, Sirius et Rigel.
Nous passons, nous sommes passés, et nos pas sont effacés
Restent seuls quelques signes ineffaçables
que je trace en pleurant dans un lieu innommé.
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JEAN AMROUCHE
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