LA PAGE BLANCHE
La page blanche est avant tout une opération de séduction. Un encadré
de lumière qui invite à parcourir les méandres de la langue vibrante et
désordonnée.
Elle découpe un morceau régulier du monde comme une
fenêtre à laquelle je me penche pour admirer le spectacle renouvelé des
jours.
Dans l'écrire, j'abandonne parfois le monde et m'engloutis
dans un mythe parsemé de débris préhistoriques. Je cherche dans chaque
anfractuosité de la langue, des secrets bien gardés qui ne se révèlent
qu'à moi. Je traque, débusque, trouve des gisements de mots disparus ou
éteints depuis longtemps.
Retrouver leur scansion, les affubler de
compagnons inattendus qui leur redonneront du goût. Écrire comme un
terrible péché d'orgueil qui me pousse vers le chemin d'un lointain
pays bleu, comme un explorateur qui s'élance pour aller là où il sera le
premier.
Redécouvrir la saveur des mots quand ils s'accordent avec l'improbable.
Ecrire,
se faire peur au plus près des zones inconnues sombres et attirantes.
Page sans lumière et sans contours sur laquelle s'agitent des signes
indéchiffrables. Il en faut des vies pour les lire.
Faire silence au
monde pour retrouver les balancements primitifs, souvenirs génétiques
de langues qui s'éloignent et se rapprochent, se croisent,
s'interpellent, s'épousent parfois.
Faire rendre gorge au ciel
nettoyé de mistral, qu'il dise enfin sa couleur quand je le regarde,
dans les petits matins du bonheur.
Sentir le monde qui me traverse.
Ma peau devient la terre, la lumière du jour ma religion et la
protestation des oiseaux mon réveil-matin.
Régler mon pas sur l'univers.
Ce
serait une femme-légende sans paroles. Elle traverserait des
territoires rythmés par les saisons, boirait dans des sources
vertigineuses. Elle accompagnerait les hommes à la poursuite du soleil.
Elle chanterait avec le vent des complaintes chaloupées dans une langue
muette. Elle serait une sorte de lubie, on lui attribuerait des pouvoirs
fantasques et amusants. Elle croiserait sur les bateaux ces malheureux
volatiles déchus et moqués que les poètes ne maudissent pas.
Sur la page blanche un poème s'esquisse comme une idée qui fait transpirer les tâcherons.
KELTOUM STAALI
.
Oeuvre Nasser Ovissi