A BOULETS ROUGES
Oeuvre de H. Pille
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" Des pourris c'est moi qui vous le dis
regardez ces tronches ces gueules ces faciès
Des espagnols des Italiens des Croates des Bulgares
Des bougnoules
Des sales nègres merdiques
Il y en a même qui portent chapeau
et cravate comme les bourgeois
Des pourris c'est moi qui vous le dis
Des chiens affamés de sang Des sauvages
Des brutes qui tueraient père et mère
ça se voit à leurs yeux farouches
A leurs poings serrés
A leurs bouches tordues par la haine
des honnêtes gens "
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Dans la rue l'enfant au ventre creux
contemple la lie de la terre
Il ne dit rien Il se tait obstinément
Il serre les dents ainsi qu'on lui a enseigné
depuis le premier jour
Dans la rue les putains collées aux murs
jettent des roses
et des baisers aux insurgés
Les corbeaux obscurs de la détresse et de la dérision
déposent religieusement leurs crottes sur les statues
des héros de la République
Renée-Maria la petite marchande d'allumettes
pleure et se mouche dans ses doigts
lorgnées du coin de l'œil par un Monsieur
qui fleure bon l'eau de Cologne
Renée-Maria mord sa main jusqu'au sang
pour ne pas hurler
Dans la rue la rumeur des humiliés chasse loin
devant elle
les feuilles mortes d'octobre
Ah! dieu! qu'il est beau!
murmure Renée-Maria en regardant celui
qui avance en tête
un beau jeune homme en habit de charpentier A la barbe
blonde et soigneusement peignée
aux doigts fins et très pâles
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" Faudrait tous les aligner le long d'un mur c'est moi
qui vous le dis "
murmure un prêtre à l'oreille du caporal-chef
" Faudrait tous les jeter dans les fours brûlants "
dit la couturière poitrinaire qui attend le Prince Charmant
" Faudrait tous les prendre aux grilles des Champs-Élysées "
proclame triomphalement un ancien Versaillais
reconverti dans le trafic d'esclaves
Dans les rues des bébés gémissent pressentant le drame
Les lanternes s'éteignent
Un roulement monte du côté du Pont Louis-Philippe
Un autre roulement lui répond par delà le Panthéon
On entend des pas marteler le pavé aux environs des jardins
du Luxembourg
Dans la rue ils marchent comme des silences graves armés
d'innombrables courages
Ils marchent comme des foules surgies d'un trou sombre où les rats
disputent l'espace
Ils marchent comme des océans soudés par la sueur le sang
et les larmes
Ils marchent comme des épées nues
Comme des processions de famines et de douleurs plus anciennes
que les plus vieux arbres
Dans les rues ils marchent comme des désespoirs vêtus d'étoffe rude
comme des corps mutilés
comme des voix brisées par l'émotion
Dans la rue l'enfant au ventre creux
attend muet
recroquevillé sur sa pouillerie
Il tremble
Il a peur
Il a froid
Mais ses regards sont ceux d'un fils de l'homme
orphelin depuis longtemps
La rue attend immobile craintive
On entend la forge rauque des poitrines
Sur les banlieues le soleil déchiqueté
s'effondre au milieu des potagers navrants
Celui qui s'avance en tête n'a pas d'amour
Il n'a jamais eu le temps
et celui qui le suit
a pour seul ami
le vent des nuits
du pays natal
Celui qui s'avance en tête est beau comme
un archange
et celui qui le suit
a un visage doux de roi-mage
"Faudrait tous les balancer aux lions "
Les bébés agitent leurs petits bras pressentant
le drame
Un banquier gras et chauve vérifie si son portefeuille
est toujours là où il faut
Dans la rue ils marchent sans dire un mot
sans fièvre
Ils marchent d'un pas régulier convaincu
Ils sont de toutes les races
et de toutes les folies
Dans la rue où les putains vite fait refont
leur maquillage
pour être belle
Dans la rue où l'enfant au ventre creux
berce une poupée de chiffons
qui n'a plus qu'une jambe
Ils marchent derrière les tambours bannières haut levées
ils marchent obscurs silencieux casqués
ils marchent figures de fer bottés casqués
Ils marchent en rang serrés
Ils marchent cent et mille Ils marchent comme toujours
marchent les armées
De longues minutes ils s'observèrent
De longues minutes
Et les flics tirèrent à boulets rouges sur le drapeau noir...
Celui qui s'avançait en tête front éclaté rougit le trottoir
Et celui qui suivait tomba avec une lenteur bouleversante
Et l'enfant au ventre creux eut brusquement des tonnes
de pain blanc
au creux des paumes.
Tard dans la nuit quand ils furent repartis
ne restèrent que les putains
qui chantèrent les cantiques et les divins psaumes.
ANDRE LAUDE
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Oeuvre Maximilien Luce