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EMMILA GITANA
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9 février 2011

LES MOTS RECOUSUS

coudre le silence

le fil de la parole

s’en va dans le vent et croit

qu’il va repriser des plis des lèvres

tout ce qui fait un visage

 

on ne corrige rien

on continue et le temps parfois

pose là ses dents pour

mâcher lentement nos ombres

 

on pense qu’une petite main

tout à coup organise nos sensations

alors qu’une image enfonce à présent

son écharde qui plus tard fera du pus

 

à moins que l’oubli ait pourri déjà

le souvenir ou que la vie à la fin

ait usé tous les chemins

ou bien peu à peu vidé la mixture interne

 

d’ailleurs qu’est-ce que le mystère

ce goutte-à-goutte au fond des yeux

où perlent distance et séparation

pourquoi pas l’amour

quelques gestes demeurés dans l’attente

les épluchures du désir

 

de la neige d’âme disait en riant

l’ange recyclé par la réalité

un fantôme au bout de la cigarette

 

la rature nous joue des tours

au bord du pays sombre

on rêve brusquement d’une terre étroite

trop mince pour y creuser des tombes

 

qui parle se demande une pensée

qui doute d’elle-même

et le ciel enveloppe la vue

 

non tout n’est pas raisonnable

pas plus le travail que le songe

pas plus le départ que l’approche

ni l’intervalle entre bonheur malheur

 

non fait l’œil en retournant l’image

et voici qu’une chose entre dans la tête

dépote aussitôt sa matière

qui s’émiette et répand la ruine

 

l’émotion ne fournit pas de preuves

elle en est une en soi et toute

entière énergie en cours de diffusion

on peut jeter sur elle un filet de mots

mais elle dissout le piège

et l’air entre les mailles

devient le même que partout

 

le fil de la parole est celui du langage

il faut le nouer menu et peu à peu

plutôt qu’en faire des coutures

ainsi peut-être aura-t-on fabriqué

un tapis de vocabulaire


                        mais la nature qu’est-ce que la nature

quand on la décrit au lieu de la manger

sauf qu’alors devenue portative

un coup de langue suffit à l’emballer

 

le fil la flamme et la fin dans le feu

une obsession qui s’élève en spirale

un appétit de tirer de la perte

le surplus d’un plus que présent

il s’agit d’atteindre la cohérence

 

un sillage et non pas la logique

quelque chose comme un bouquet

de langues de feu

 

nul repos à la vie que la vie même

dit le tenancier de la Boutique aux miracles

mais il se tient dans la pénombre

et d’une main prend son autre main

pour sentir un instant la tendresse

 

on parle de sentiments de pensées

quand on veut seulement faire en nous

respirer l’espace et comment le pourrait-il

sans prendre une forme quelconque

tous nos problèmes ont lieu dans

ce quelconque nul ne le prend pour

la chose qu’il est de hasard ou d’occasion

 

il n’y a rien qui termine le tout

écrit Lucrèce et c’est pourquoi

                     nous voudrions tenir le tout dans une forme

               les mots en sont-ils une chacun en soi

 

                ou bien faut-il qu’à rebondir sur les choses

ils n’éprouvent que la vanité d’être

ce peu de souffle vite tombé

vite dissout dans le silence

 

on les jette pourtant depuis les lèvres

pour toucher le monde et qu’il résonne

et nous revienne au moins comme un écho

une étincelle sonore

 

les bourreaux sont les seuls à croire

qu’arracher un mot découd

c’est pourquoi ils font rendre le dernier souffle

puis l’obscurité descend sur la grammaire

en même temps qu’elle souffle l’humanité

 

on pensera plus tard qu’un poison

changea la nuit en cauchemar

ou contamina la mémoire

 

le poème se réveille au bord du vide

et lui-même en train de se vider

le long du pal qui lentement le troue

c’est maintenant la mort qui le brandit

avant de jeter sa dépouille

parmi l’immortelle bêtise

là le sens perdu dérange moins

que le bruit des sirènes

                               toutes les lettres à la fin ne sont plus

                                        que vermicelles achetés au supermarché

                                              rendu quand même à l’utilité nourrissante

elles iront épaissir le bouillon

cependant qu’aucune oreille désormais

n’entendra le silence au fond de la cuiller

.

BERNARD NOËL

.

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 Oeuvre Raymond Attanasio

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