L'ARGILE
Ils disaient : " l'argela "
Vous disiez : " la arcilla "
Nous étions frères dans la fange.
L'argile ouvrait très largement
les yeux de l'oc et de l'Espagne.
Vous disiez : " la arcilla ",
de Madrid à Séville;
et nous " l'argela "
de Clermont à la mer
des Alpes aux Pyrénées.
Nous la contemplions dans sa mollesse
et dans sa dureté,
l'argile des temps obscurs
semblable à elle comme au temps
où Dieu seul
lui insufflait la vie.
Et nous la pétrissions
et nous la caressions
du doigt
et le soleil de chaque pays
égal pour tous
la brûlait.
Et la séchait,
et la durcissait.
Il en faisait le fer
d'un pot
et l'ampleur
d'une jarre.
Le ventre plein
de la femme enceinte
le blé mûr
pour passer l'hiver,
et l'eau fraîche
quand tout est sec,
et l'huile verte
dans les ténèbres du temps.
Tu disais : " la arcilla ",
ô toi Neruda,
dont la face
était d'argile pleine
et bien pétrie.
Qui levais sur nous
ces yeux
qui avaient vu
le chemin des Incas
et la neige savoureuse
et l'air irrespirable
des Andes.
Joues d'argile
front de pierre
et tes yeux de songe
qui croisèrent les yeux ensevelis
de Lorca.
" La arcilla " le couvre
" La arcilla " remplit sa bouche
"La arcilla " ferma ses yeux
Il s'est enfoncé doucement
dans " la arcilla ".
" La arcilla l'a dévoré
lentement,
et nul ne sait, dans la honte,
où l'on a jeté son corps
comme celui d'un chien mort.
L'olivier, l'olivier, avec ses doigts gris
dit oui, dit non, au fil du vent
à celui qui vient questionner l'argile
et d'un olivier à l'autre on ne sait pas
où il s'endormit pour toujours
...
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MAX ROUQUETTE
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