QUAND LA NUIT DERAILLE
J’ai le cœur sédentaire et l’âme vagabonde
Quand la nuit déraille, je suis l’enfant du cri
Je viens d’une autre mémoire
Plus grande que l’ici, aussi vaste que l’ailleurs.
J’habite le passé de l’absence
Je ne suis que l’odeur d’un regret
L’ombre pâle d’un anonyme
Une feuille d’automne que l’hiver piétine.
Te souviens-tu du cri lointain du chèvrefeuille ?
De la déchirure du soir sur l’envolée des hirondelles ?
De l’odeur du désir dans la moiteur des étoiles ?
Du vent à l’arrêt aux déraisons du soleil ?
J’avais un sommeil de sable.
Il pleut des mémoires et du feu
Et tant de guerres qui cognent aux vitres
Je cherche un enfant qui me ressemble
Mais tous les enfants me ressemblent
Ils partent un parchemin à la bouche
Un sourire dans la main.
Qui donc autre que la mort déchire le parchemin ?
Qui donc autre que les hommes écrasent la main et le sourire ?
Il faudrait repeupler le vent
Je me souviens du cri du chèvrefeuille
Être homme ne suffisait pas
Il fallait montrer papier, identité
Couleur et carnet de confession
Il fallait partir, pleurer, mourir
Le rêve habitait des vertus polymères
Et des nuits dépeuplées.
Quand les hommes meurent
Il fait brouillard partout.
Il faudrait tuer les bruits qui courent
Pour tuer la rumeur.
Là-bas j’avais une terre
Des bourgeons d’argiles aux toits des maisons.
Je me rappelle du nid d’hirondelle
Quand l’oiseau est tombé
Et la vie qui cessait dans une main d’enfant.
Le vieil homme avait dit :
Tu auras d’autres raisons de pleurer
La vie ne vaut-elle pas toutes nos larmes ?
Quand la nuit déraille, je suis l’enfant du cri
Je viens d’une autre mémoire aussi vaste que l’ailleurs
J’ai visité le miroir
Un cri lointain de chèvrefeuille cache tous les mouroirs du monde
L’ogre de barbarie et le marchand, encore, traverseront la nuit.
J’habite le passé de l’absence
Le vent me déplace sur une feuille d’automne
J’ai mangé ma colère et mes regrets
Je cherche un enfant qui me ressemble
Mais tous les enfants me ressemblent
Aucune vengeance, aucune guerre
Ne vaut le temps perdu à ne pas aimer.
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JEAN-MICHEL SANANES
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