PRISONS ET PARADIS - Notes marocaines...Extrait
Crépitements d'oiseaux avant l'aurore, tonnerre d'oiseaux. Ils s'apaisent un peu, le jour levé. une phrase de rossignol s'étale encore, comme un lambeau nocturne. Au premier rayon s'élance le cri acéré de l'hirondelle. Puis la gorgée liquide dont se gargarisent le loriot trivial, et le merle. Les derniers chants montent d'une grève mouillée dont chaque galet est une voix de passereau, et des baisers, des baisers, des baisers de mésanges coalisées...
A midi tous se taisent, mais la colombe qu'on ne voit jamais exploite la chaleur sans se lasser, à demi-voix.
La muraille nue, le jardin plat, le bas divan dur. Des surfaces qui laissent courir rouler le corps. Un pli irrite, une allée, qui monte, rebute. J'entends à côté, près de la vasque, sous un dais immobile de parfum d'oranger, sur la dalle chaude, un rire américain monstrueux et mal équarri qui hérisse la plume des merles. D'ailleurs la femme d'Amérique porte une robe faite avec un plan de Paris, imprimé sur mousseline de soie. Sans blague.
Illusion d'être parvenue à un but, parce qu'on se repose au centre d'un jardin défendu de toutes parts, où l'humanité n'a pénétré qu'en manifestations muettes, en traces qui ne laissent aucun son dans l'air. Combien d'heures durerait cette illusion: « me voici arrivée au terme »? Le terme de quoi? De la vie? Du souhait? Du mouvement? De l'amour? Combien d'heures peut-on se nourrir de la contemplation d'un jardin prisonnier, et d'une arabesque de fer fin sur champ de feuillage? Combien de temps peut-on passer à attendre que le vent, en émouvant enfin un flambeau rigide, immense, de cyprès, qui semble soutenir un porche, nous fasse croire que c'est tout le palais qui chancelle?
Pour aujourd'hui et depuis deux jours, l'illusion persiste. C'est que le luxe trompe avec force sur le sens de la vie, et qu'ici comme ailleurs, le luxe c'est l'immobilité et le silence.
Qui sait, avant d'entrer, que c'est un palais? C'est un mur comme tous les murs, couleur de crépuscule pâle, couleur de terre, couleur de ciel. Les hommes, assis sous les porches, sont pareils à tous les hommes d'ici, sous tous les porches marocains.
Au bout du couloir non pavé, le petit cloître rectangulaire est si simple et si frais, et désert. Un chant de prières décèle une toute petite mosquée, que le pacha fit construire et réserver pour lui et ses amis du voisinage. Ni garde, ni serviteurs visibles, sauf une ombre d'homme qui rêvait contre une porte... Elle appuie un bras sur cette porte, qui s'ouvre. Un autre couloir étroit, où commence le revêtement de mosaïque....
(...)
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COLETTE
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