JACQUES ANCET
Printemps blessé. Vent labouré de songes.
Parmi la boue et l'herbe du chemin
le pas célèbre un rite très ancien.
Braise qui meurt sous la cendre, la plaine
au loin s'enfuit touchée par les nuages.
Les champs roulent leur houle qui se brise
immobile et brutale. Cà et là
entre l'écho des pierres solitaires,
le cri obscur de lents corbeaux les hante.
Pourtant devant le tournoiement des fleurs
de l'arbre où neige un instant le soleil,
l'épine aigüe d'un rêve nous déchire.
L'ombre naissante au pied du tronc se fige,
l'herbe est une caresse et la lumière
a la couleur oubliée de la vie.
Le chemin s'est éteint on ne sait où.
Le vent aussi. C'est un silence étrange
qui fait même un peu peur quand on l'écoute ;
un tremblement de pétale l'habite
une rumeur qui ressemble à des voix
et à des mots que l'on ne comprend pas
Puis il est doux de se perdre soi-même
de n'être plus que mémoire de neige
parfum de givre tiède attente pâle
d'aube incendiée de rosée paupières
lèvres frôlées d'un duvet fugitif
et lent éclair de sève sous la peau
L'enfance est là fleur blanche repliée
qui s'entrouvre soudain Alors le jour
gonfle et mûrit tel un immense fruit
si lisse et plein qu'il s'enfonce en lui-même
et rien ne reste hors ce poids de silence
qui creuse en nous l'absence et la blessure.
Car tout s'efface et tout pèse à nouveau :
un visage, une main, chacun des pas
qu'il faut refaire en la boue du chemin.
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JACQUES ANCET
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