CHANT GENERAL ...Extrait
Notre terre, vaste terre, solitudes,
se peupla de rumeurs, de bras, de bouches.
Une syllabe muette qui brûlait
y rassemblait la rose clandestine,
jusqu'au jour où les prairies trépidèrent,
couvertes de métaux et de galops.
La vérité fut dure comme une charrue.
Elle rompit la terre, établit le désir,
enfouit ses propagandes germinales
et naquit durant le printemps secret.
Sa fleur fut silencieuse ;
repoussée sa gerbe de lumière,
combattus le levain collectif,
le baiser des drapeaux cachés,
mais elle surgit, lézardant les murs,
écartant les geôles du sol.
Et le peuple obscur fut sa coupe,
il reçut la substance refoulée,
la propagea jusqu'aux limites de la mer,
il la pila dans des mortiers irréductibles.
Et il sortit avec ses pages martelées
et avec le printemps sur le chemin.
Heure d'hier, heure méridienne,
heure à nouveau d'aujourd'hui,
heure attendue entre la minute morte
et celle qui naît à l'âge hérissé du mensonge.
Patrie, tu fus engendrée par les bûcherons,
par les enfants non baptisés, les charpentiers,
par ceux-là qui donnèrent,
tel un oiseau étrange, une goutte de sang ailé,
et aujourd'hui tu vas renaître durement,
de ce lieu où le renégat et le geôlier
te croient à jamais submergée.
Aujourd'hui comme alors, tu vas renaître du peuple.
Tu vas sortir du charbon, de la rosée.
Tu vas venir secouer les portes
avec de mains meurtries,
des bribes d'âme survivante,
des grappes de regards
que la mort n'a pas éteintes, avec aussi de durs outils
armés sous les haillons.
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PABLO NERUDA
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Oeuvre Frederike Roozeveld