PROPOS SUR LA POESIE
Je suis de ceux qui accordent à la langue, dans la poésie, une importance extrême car la langue, sur le plan de la création, n'est pas seulement connaissance mais aussi état d'être. Je ne lis pas seulement dans la poésie d'un poète sa vision ou expérience, mais également son existence ou son état d'être. Oui, il y a une connaissance poétique particulière, une connaissance qui prend sa source dans la nature de sa langue. En effet, la poésie a une langue qui lui est propre, et la qualité de la connaissance est liée à la qualité de sa langue. C'est pourquoi la connaissance scientifique, par exemple, ou la connaissance philosophique diffèrent-elles de la connaissance poétique, car leurs langues sont différentes de la langue de la poésie.
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Écrire, cela signifie aller plus loin, derrière les peaux, derrière les voiles, derrière l'apparent. Voilà ce qu'enseigne et incarne l'image poétique : l'image n'est poétique que si elle transperce la surface de la chose. Elle est descente dans les profondeurs de la vague au sein de laquelle les choses se meuvent. On peut donc dire que là où il n'y a pas d'images il n'y a pas de poésie. La nature n'acquiert de sens que par ce qui se trouve derrière elle.
- le mot, en poésie, est horizon, et l'horizon est appel dans la mesure où il est aparté ;
- écrit, le mot est puits ; lu, il est source ;
- écrit, le mot est bouteille dans la vague ; lu, il est la vague-même ;
- l'écriture de la poésie est exaltation, sa lecture est une seconde écriture de cette exaltation ;
- le mot est voix et par la voix nous découvrons sa présence la plus éclatante :
- la voix dénude le mot : elle détermine sa profondeur et sa richesse, sa musicalité ; elle se sublime en lui et s'élève, sinon elle achoppe et s'effondre. Par la voix, nous découvrons l'état du mot, en profondeur et en hauteur. Nous nous rendons compte, de manière spontanée, de l'ampleur de la richesse du mot dans ses relations avec d'autres mots, avec ce que nous disons ;
- le mot est un feu dont la flamme est la voix. L'écriture est une braise dont la flamme est la lecture ;
- la voix est un espace qui transforme la parole en espace ;
- la voix ouvre le mot, elle ouvre le poème,le mot est une demeure qui transforme la voix en cité ;
- la voix rend le mot singulier pluriel.
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ADONIS
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Oeuvre Abbas Moayeri