SILENCE
Le silence est un lit pour le chant du monde.
Il est rempli de sons (les amoureux et les solitaires le savent) dans la ville comme à la campagne.
Le silence, c’est avant tout se taire, un état d’esprit, un moment de l’en-soi, quand cesse la course et le contrôle. Le silence est vagabondage possible (mais non obligatoire !) de la pensée.
J’ai besoin de silence. Tous, nous en avons besoin, même si certains ne le savent pas, même si certains ne le trouvent jamais, la faute aux conditions extérieures, intérieures, cela dépend sans doute.
Il nous faut penser. Quelque chose en nous l’exige. Cela relève peut-être de notre dignité, de notre humanité. Toujours est-il qu’il nous faut tendre ce lit blanc et net du silence pour percevoir et concevoir le temps, l’espace, nous dans ce temps et cet espace. Il nous faut le silence pour nous déployer.
Le chant, lui, c’est la beauté brute, en dehors de tout jugement, de tout esthétisme. Chant, écriture, peinture, tout repose sur un socle de silence. Les enfants le savent d’instinct. Ils sont bruyants quand ils jouent, jusqu’à cet instant que tous nous avons observé un jour ou l’autre. Ils s’arrêtent, concentrés, absorbés tout entiers dans l’observation intense de la serrure du buffet, de cette pierre, de quelque chose qu’on n’identifie peut-être même pas. A cet instant, quoi que ce soit, c’est le plus important au monde.
Et puis c’est fini. Ils retournent au jeu, au mouvement, au bruit. Les enfants passent du silence aux cris sans transitions, sans truchement, ils n’ont besoin de rien.
Certains perdent cela ensuite. Sans doute notre mode de vie hyper-bavard et hyper-connecté y est-il pour beaucoup. En offrant très tôt l’accès au monde des textos, à la tribu des pairs virtuels, nous fermons la porte qui donne sur les trajets solitaires vers la liberté. En imposant des itinéraires intellectuels, en enfermant les esprits dans le carcan de « programmes », nous fermons la porte à l’exploration en compagnie d’un livre, d’un film, d’une musique, en bande ou en solitaire.
L’amitié elle-même repose sur le silence. Elle n’est pas un like sur Facebook. L’amitié, ce sont des heures ensemble où la parole et le silence dessinent des motifs spécifiques sur les trames de la mémoire et du cœur.
Le silence est à l’origine de tout ce que nous devenons, il naît de la solitude mère autour de laquelle tout se construit.
A notre mort, la solitude et le silence se résorbent. C’est presque rien, à peine une ride à la surface du monde. Elle s’efface de d’elle-même, et ce qui reste, c’est le silence des autres, troublé peut-être par le vide et la blessure du chagrin mais rendu très vite à sa densité, à sa qualité aussi.
Après avoir traversé la journée, je retrouve le silence comme on arrive au port, j’y ai des repères familiers – de petits sons posés sur le drap propre de l’achevé – et je circule sous les arches très privées de ma pensée, au milieu de fragments, de mots, de phrases, d’images, de presque-souvenirs, du juste-vécu, libre et flottant.
Ce silence-là est récurrent, nécessaire lui aussi, et j’ai appris à attendre sa venue. C’est une respiration lente, elle rend possible la traversée du chaos ordinaire.
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LEILA ZHOUR
https://melimelodesmots.wordpress.com/
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