31 octobre 2012
LA MER AU PLUS PRES
J'ai grandi dans La mer et la pauvreté m'a été fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m'ont paru gris, la misère intolérable.
Depuis, j’attends.
J'attends les navires du retour,
La maison des eaux,
Le jour limpide.
Je patiente,
Je suis poli de toutes mes forces.
On me voit passer dans de belles rues savantes,
J'admire les paysages,
J’applaudis comme tout le monde,
Je donne la main, ce n'est pas moi qui parle.
On me loue,
Je rêve un peu,
On m'offense,
Je m'étonne à peine.
Puis j’oublie et souris à qui m'outrage,
Ou je salue trop courtoisement celui que j'aime.
Que faire si je n'ai de mémoire
Que pour une seule image ?
On me somme enfin de dire qui je suis.
« Rien encore, rien encore... ».
C'est aux enterrements que je me surpasse.
J’excelle, vraiment.
Je marche d'un pas lent dans des banlieues
fleuries de ferrailles,
J’emprunte de larges allées,
plantées d’arbres de ciment,
Et qui conduisent à des trous de terre froide.
Là,
Sous le pansement à peine rougi du ciel,
Je regarde de hardis compagnons
Inhumer mes amis par trois mètres de fond.
La fleur qu'une main glaiseuse me tend alors,
Si je la jette,
Elle ne manque jamais la fosse.
J’ai la piété précise,
L’émotion exacte,
La nuque convenablement inclinée.
On admire que mes paroles soient justes.
Mais je n'ai pas de mérite :
J’attends.
J'attends longtemps.
Parfois, je trébuche,
Je perds la main, la réussite me fuit.
Qu'importe,
Je suis seul alors.
Je me réveille ainsi, dans la nuit,
Et, à demi endormi,
Je crois entendre un bruit de vagues,
La respiration des eaux.
Réveillé tout à fait,
je reconnais le vent dans les feuillages
Et la rumeur malheureuse de la ville déserte.
Ensuite,
je n’ai pas trop de tout mon art
Pour cacher ma détresse
Ou l’habiller à la mode.
.
ALBERT CAMUS
.
Commentaires