L'HOMME ET LA VILLE ....Extrait
" Le moins qu'on puisse dire du pouvoir, c'est que la vocation en est suspecte "
Jean Rostand
(...)
La domination est un phénomène précis. Elle s'exprime par
l'impossibilité, pour le prolétariat, d'assurer son propre destin.
Toutes les décisions essentielles de la vie individuelle et collective
sont entre les mains des autres, monopoles, groupes de pression
économique, mais aussi bien des technocrates et bureaucrates à l'Est
européen. Or, ces groupes de pression ne sont pas maîtres de leur
destin. Ils se trouvent engagés dans le déterminisme implacable du
profit pour le profit, de la domination pour la domination, plus que de
celui du profit pour eux-même en tant qu'utilisateurs de biens
consommables. Le régime parlementaire réalise enfin cette tromperie
remarquable qu'il paraît autoriser l'expression de la volonté du plus
grand nombre, alors que ce plus grand nombre, intoxiqué par
l'information dirigée, ignorant les facteurs économiques et politiques
fondamentaux, inconscient du jeu dont il est l'objet, obéit. Il obéit au
second degré, car il obéit au déterminisme de la classe dirigeante,
elle-même dirigée par ses propres motivations de façon tout aussi
inconsciente.
C'est pourquoi la notion de classe, malgré les réalités
qu'elle contient, détourne l'attention du problème fondamental de la
destinée humaine. Puisqu'on nous parle de l'essence de l'homme, cette
essence, est-elle le travail qui débouche sur la production de biens
consommables, ou la connaissance, qui y débouche indirectement après
avoir passé par une finalité différente ? C'est cela le vrai problème.
Si l'essence de l'homme est la connaissance, l'évolution est ouverte en
grand, infiniment. Si l'essence de l'homme est le travail, l'évolution
est prête pour les crises, les dominations économiques et les guerres,
quelles que soient les idéologies dominantes.
Le profit consommable,
finalité apparente du comportement du bourgeois, ne lui " profite " pas
autant que les efforts qu'il fait pour l'obtenir le mériteraient. Il
n'est pas besoin de ces industries gigantesques, de ces monopoles
tentaculaires, pour satisfaire la consommation de quelques directeurs,
de quelques managers ou P.D.G. Si la finalité de ces quelques hommes
n'était que cela, on pourrait conseiller au prolétariat de leur offrir
une vie identique à ne rien faire, il s'en tirerait au meilleur prix. La
motivation inconsciente ne peut être limitée à l'appétit de
consommation, et l'erreur du prolétaire bien souvent, pour lequel cet
appétit est d'autant plus légitime qu'il ne peut l'assouvir, est
d'attribuer ses propres sentiments au bourgeois.
Finalement, la
motivation réelle du bourgeois est la domination. La notion de propriété
des objets et des êtres, celle par la suite des moyens de production,
celle enfin de leur gestion est intimement liée au désir du pouvoir. On
peut faire disparaître progressivement les différentes formes de la
propriété, le désir de dominer persiste. La bureaucratie en est un
exemple.
Si la notion de propriété individuelle des objets paraît
n'être qu'un reliquat d'époques inconscientes et ascientifiques de
l'Humanité, la notion de propriété collective ne paraît pas mieux
fondée. La seule possession que l'on puisse accepter, c'est celle du
monde par l'humanité. L'essentiel est alors d'imaginer comment on peut
organiser son exploitation universelle et pas seulement au bénéfice d'un
clan, d'un groupe, d'un état ou d'une classe sociale, serait-ce même du
prolétariat. Or, sur le plan sociologique aussi le problème risque de
rester encore biologique. En effet, en l'absence de propriété privée ou
même collective des biens, en particulier des moyens de production, il
restera encore à résoudre, à tous les échelons d'organisation sociale
que l'on peut alors imaginer planétaires, l'orientation et la finalité
de leur emploi. Ne risque-t-on pas alors de voir à nouveau s'imposer les
cerveaux reptiliens les plus agressifs, monopolisant une fois de plus
les informations et ne laissant filtrer vers le plus grand nombre que
celles susceptibles de maintenir leur hégémonie sociale ou celles du
groupe qui les a motivées ? Si le pouvoir est effectivement dissociable
de la propriété, et si cette dernière n'a jusqu'ici été qu'un moyen
d'accéder au pouvoir, n'est-ce pas le pouvoir qu'il faut généraliser " ?
Mais comment généraliser le pouvoir sans généraliser l'information, car
pour agir il faut être informé.
Or, si les informations restent la
propriété d'une classe qui ne diffuse que celles susceptibles de
perpétuer sa domination, on est certain de tourner le dos à l'évolution.
D'autant plus que cette classe elle-même ne sera sensible
Nous ne
sommes pas sensibles aux ultrasons parce que la structure de notre
appareil sensoriel ne nous le permet pas. Mais un bourgeois ne peut
être, de la même manière, sensible qu'aux informations qui peuvent
s'insérer dans le cadre de ses automatismes acquis. Il ne pourra donc
diffuser, en retour, que les informations du même type, à l'exclusion
des autres qui sont pour lui non signifiantes, car elles sont comme
exprimées dans une langue qu'il ne comprend pas.
Il n'est que de voir
le raidissement de nos sociétés bourgeoises, qu'elles soient de l'Ouest
ou de l'Est, en face du pullulement des idéologies gauchistes, qui sont
parfois l'expression d'un mouvement imaginatif et créateur,
malheureusement trop exclusivement littéraire et pas encore
scientifiquement élaboré qu'à un certain type d'informations, celui qui entre dans son schéma culturel.
HENRI LABORIT
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