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EMMILA GITANA
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5 novembre 2007

LE COEUR COUSU

PROLOGUE

....Mon nom est Soledad.
....Je suis née, dans ce pays où les corps sèchent, avec des bras
morts incapables d'enlacer et de grandes mains inutiles.
....Ma  mère  a  avalé  tant  de  sable,  avant  de  trouver  un mur
derrière lequel accoucher, qu'il m'est passé dans le sang.
....Ma peau masque un long sablier impuissant à se tarir.
....Nue  sous  le  soleil   peut-être  verrait-on   par  transparence
l'écoulement sableux qui me traverse.
....LA TRAVERSEE
....Il  faudra bien que  tout  ce sable  retourne  un jour au désert.
.
.

....A ma naissance, ma mère à lu ma solitude à venir.
....Ni donner, ni recevoir, je ne saurais pas, jamais.
....C'était inscrit, dans la paume de mes mains, dans mon refus
obstiné de respirer,  de m'ouvrir à  l'air  vicié  du dehors,  dans
cette volonté de résister au monde qui cherchait à  s'engouffrer
par  tous  mes  trous,  furetant autour de moi comme un  jeune
chien.
....L'air est entré malgré moi et j'ai hurlé.
.
.

....Jusque-là,  rien  n'était  parvenu à  ralentir  la marche de ma
mère.   Rien  n'était  venu à bout de son entêtement de  femme
jouée.  Jouée  et  perdue.  Rien,  ni  la fatigue,  ni la mer,  ni les
sables.
....Personne  ne nous dira jamais combien de temps  aura duré
notre  traversée,  combien  de  nuits  ces enfants  qui  suivaient
leur mère ont dû dormir en marchant !
....J'ai   poussé  sans  qu'elle  y   prit  garde,   accroché  à  ses
entrailles ,  pour  ne  pas  partir  avec  toute  cette  eau  qu'elle
perdait sur les chemins.   J'ai  lutté pour  être du voyage et  ne
pas l'interrompre.
.
....La vieille Mauresque qui a arrêté ma mère en  lui touchant
le ventre, celle qui a murmuré " Ahabpsi ! " comme on  élève
un mur, et qui, armée d'une main et d'une parole,  s'est dres-
sée seule face à la volontée furieuse de  cette femme  grosse
d'une enfant  arrivée à  terme depuis  longtemps déjà  et  qui
voulait  poursuivre  sa route  et  qui  voulait  marcher encore,
bien  qu'elle  eût  déjà  marché  plus  qu'il  n'était possible et
qu'elle se  sentit  incapable  de marcher davantage,   la vieille
Arabe aux mains rousses de henné  plus fortes que le désert,
celle qui est devenue pour nous  le bout du monde,  la fin du
voyage,  l'abri, cette femme a lu, elle aussi,  ma solitude dans
mes paumes, elle qui ne savait pas lire.
....Son  regard  est  entré  d'un  coup dans les viscères de ma
mère et  ses mains sont venues m'y chercher.  Elle m'a cueillie
au fond de la chair où j'étais terrée, au fond de cette chair qui
m'avait  oubliée  pour  continuer  de  marcher, et, après  m'en
avoir libérée,  elle a senti que mes mains  ne me serviraient de
rien, que j'y avais comme renoncé en naissant.
....Sans se comprendre,  elles m'ont donné,  chacune  dans sa
langue,  le même  prénom.  " Soledad "  a  dit  ma  mère  sans
même  me  regarder.    Et  la  vieille  en  écho  lui   a  repondu
" Wahida ".
.
....Et aucune de ces deux femmes ne savait lire.
.
....Ma soeur aînée,  Anita, s'est longtemps refusée à  l'évidence
inscrite  dans  mes  mains,  inscrite  dans  mon  nom.  Et  elle a
attendu. Elle a attendu qu'un homme me débaptise et  que mes
doigts s'attendrissent.
.
[...]
.
Carole Martinez
LE COEUR COUSU

ROSA3

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