LE REVOLVER A CHEVEUX BLANCS...Extrait
On vient de mourir mais je suis vivant et cependant je n’ai plus d’âme.
Je n’ai plus qu’un corps transparent à l’intérieur duquel des colombes
transparentes se jettent sur un poignard transparent tenu par une main
transparente. Je vois l’effort dans toute sa beauté, l’effort réel qui
ne se chiffre par rien, peu avant la disparition de la dernière étoile.
Le corps que j’habite comme une hutte et à forfait déteste l’âme que
j’avais et qui surnage au loin. C’est l’heure d’en finir avec cette
fameuse dualité qu’on m’a tant reprochée. Fini le temps où des yeux
sans lumière et sans bagues puisaient le trouble dans les mares de la
couleur. Il n’y a plus ni rouge ni bleu. Le rouge-bleu unanime s’efface
à son tour comme un rouge-gorge dans les haies de l’inattention. On
vient de mourir, – ni toi ni moi ni eux exactement, mais nous tous,
sauf moi qui survis de plusieurs façons: j’ai encore froid, par
exemple. En voilà assez. Du feu! Du feu! Ou bien des pierres pour que
je les fende, ou bien des oiseaux pour que je les suive, ou bien des
corsets pour que je les serre autour de la taille des femmes mortes, et
qu’elles ressuscitent, et qu’elles m’aiment, avec leurs cheveux
fatigants, leurs regards défaits! Du feu, pour qu’on ne soit pas mort
pour des prunes à l’eau-de-vie, du feu pour que le chapeau de paille
d’Italie ne soit pas seulement une pièce de théâtre! Allô, le gazon!
Allô, la pluie! C’est moi l’irréel souffle de ce jardin. La couronne
noire posée sur ma tête est un cri de corbeaux migrateurs car il n’y
avait jusqu’ici que des enterrés vivants, d’ailleurs en petit nombre,
et voici que je suis le premier aéré mort. Mais j’ai un corps pour ne
plus m’en défaire, pour forcer les reptiles à m’admirer : des mains
sanglantes, des yeux de gui, des bouches de feuilles mortes et de verre
(les feuilles mortes bougent sous le verre; elles ne sont pas aussi
rouges qu’on le pense, quand l’indifférence expose ses méthodes
voraces), des mains pour te cueillir, thym minuscule de mes rêves,
romarin de mon extrême pâleur. Je n’ai plus d’ombre non plus. Ah mon
ombre, ma chère ombre. Il faut que j’écrive une longue lettre à cette
ombre que j’ai perdue. Je commencerai par Ma chère ombre. Ombre, ma
chérie. Tu vois. Il n’y a plus de soleil. Il n’y a plus qu’un tropique
sur deux. Il n’y a plus qu’un homme sur mille. Il n’y a plus qu’une
femme sur l’absence de pensée qui caractérise en noir pur cette époque
maudite. Cette femme tient un bouquet d’immortelles de la forme de mon
sang.
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ANDRE BRETON
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Oeuvre Raymonde Voisin