BAM POUR L'ETERNITE
L’Arg ou citadelle de Bam (ارگ بم en persan) était le plus grand ensemble fortifié du monde construit en briques d’argile. Il est situé à Bam, une ville de la province de Kerman dans le sud-est de l’Iran. Il est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Cette gigantesque ville-citadelle, située sur la célèbre route de la soie, fut construite peu avant le Ve siècle av. J.-C. et resta en activité jusqu’en 1850 après J.-C. On ne connaît pas avec certitude la raison de son abandon.
Constituant une imposante structure fortifiée dominée par la silhouette d’une citadelle élevée en son sein au point le plus élevé, la ville dans son ensemble est nommée : Citadelle de Bam.
Le 26 décembre 2003, la citadelle fut presque complètement détruite par un tremblement de terre, en même temps qu’une grande partie de la cité de Bam.
L’aspect fantomatique et hors du temps de l’Arge-e Bam lui avait valu de servir de décor au film « Le désert des Tartares » de Valério Zurlini.
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De la terre et de l’eau
Naquit une cité sans âge
Cette fière Babel
Passant
Toi dont le regard s’étonne
C’est le bastion du temps
Pétri de père en fils
Dans l’argile et la paille
C’est le temps tissé de nos racines
Aux portes du Sud dressé
Ce rempart du Néant
C’est Bam
Épargné de tous les feux
Du Ciel et de la Terre
La couronne des siècles
Régnant sur tous les âges
C’est Bam sentinelle
Aux portes du désert
Bam, murailles d’ocre
Aux palmeraies de jade
Ici ont vécu les dynastes
D’Arsace et de Sassane
Tous partis en un souffle
Pour ne plus revenir
Ici ont passé des caravanes
Ployées sous les ballots de soie
Pour se perdre
Dans la rocaille du Kévir
Hier, ici, bruissaient encore les fontaines
Parmi les jardins de rose et d’églantine
Le rossignol chantait encore
Bien après le fracas
Des tribus englouties quelque part
Entre l’Inde et l’Arabie
Et rien n’est resté de la fureur
Des cavaliers porteurs de lance
Le Temps, le Temps s’est incliné
Aux pieds de ces remparts légers comme le vent
Car le sable était plus fort
Que granit et albâtre
Terre crue, imprenable vertige
Jeté comme un tapis sans âge
Au banquet du désert
Là où les doigts paysans
Égrènent et battent l’orge
Ni les sabres et ni les sabots
Des destriers de la désolation
Venus de l’Est
N’ont su rompre
La chaîne immémoriale
Des travaux et des jours
Ni Baloutches, Afghans,
Ni Sakas, Turkmènes
N’ont su briser l’anneau des mois et des saisons
Hier encore de Bam les ruelles
Bruissaient aux heures du couchant
Des chants de chameliers, de guerriers, de marchands
Dans Bam immortelle
Oasis posée dans la course du temps
Car tel était son chant
Telle qu’hier encore
Cette Babel
Penchée sur le pas de notre destinée
C’était le doigt de Dieu
Sur la lèvre du Néant
Mais le Néant
Qui jamais ne se tait
Frères d’ici-bas
Et pour qui rien ne vaut jamais
Ni le sang dans les veines
Et ni la brique
Sur la brique posée
Ni la prière des Mages
Ni le rire des enfants
Le Néant, hier encore, embouche
Sa trompette portée par ses noirs archanges
Sur nos fronts et nos jardins
Aveugle aux cœurs enlacés
Aux serments des amants
Le Néant en un souffle renverse
Les plus hauts des remparts
En un souffle l’éternité se meurt
D’un poing
On brise les toits de la Citè`
La nuit n’est plus la nuit
Et l’aube prend la teinte du sang
La poussière versée
Dans la gorge et les yeux
Le fier vaisseau
Qui fendait de sa proue
Les marées de l’histoire
N’est plus que ruine
Quand crèvent les murs
Et que nos demeures radieuses
S’ouvrent soudain aux ultimes orages
Et que la Tour de nos Quatre Saisons
Redevient mortier
Les Tartares enfin là
Vomis du ventre de la terre
Partout on ploie l’échine
Rompus les cordons idéaux
La mère loin de l’enfant
La coupe de chacun remplie
Par les sanglots du deuil
Et l’on cherche les mots
Pour nommer la colère soudaine de Dieu
Ou l’Imam de la Fin des Temps
Pas de poing pourtant contre le ciel levé
Ni de supplique quand
La nuit déjà habite chaque voix
Oasis maudite pour avoir tenu
Plus que les générations
Vois ton sort désormais
Ton chantier de désespérance
Et ce sol encore qui parfois tremble
Sous les sabots de ce qui ressemble
A l’âne de l’Antéchrist et qui répand
Son haleine de feu et de sang
Ou serait-ce peut-être le pied de Satan
Quelque part sous cette écorce
Qui secoue sa chaîne
Et tord les entrailles de nos champs
Ici c’est de pleurs qu’on arrose
Les tombes multipliées
Et de charnier que l’on parfume
Les vergers de la démence
Non, le temps n’était pas suspendu
Juste une pause
Et juste une faux maintenue
Au-dessus de nos illusions
Au-dessus de ce donjon
Que l’on croyait sans fin
Château de sable hier, ce jour statue de sel
Car Bam a rendu gorge
La parole muette devant le sang versé
Les bras se tendent vers le ciel
Et c’est l’hiver dans nos âmes blafardes
Conte funèbre de nos nouvelles errances
Et l’on dira encore longtemps après :
« Il était une fois une ville
Qui vécut 3000 ans »
Mais toi, pourtant,
Toi roue du ciel
Quel serait ton destin
Sans nos voix qui disent ta louange
Ou ta malédiction
Sans nos mains pour te décrire
Sans nos bras pour te porter en songe
Comme une tenture
Au-dessus de l’horizon
Nos bras meurtris
Mais noués déjà pour la résurrection
Les bourgeons éclos sur les lits de nos ruines
S’éveillent enfin
Pour remettre la brique par-dessus la brique
Pour Bam ressuscitée
Au nom de l’homme
De l’esprit
Du rêve et de l’espoir
Plus forts que le mépris du temps
Pour que Bam revienne
Citadelle de nos vertes illusions
Ton sable lié par le levain de l’âme
Et qu’est le temps devant l’espoir ?
Qu’est le temps ?
Qu’est le temps
Sous le ciel immortel de Bam ?
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REZA AFCHAR NADERI
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Bam - Iran - ارگ بم