LA LECON DES CHOSES
Tout en toi se souvient
de l’offense des choses :
ta chair de tant d’échardes,
ta peau de tant d’épines,
ton sang de tant de crocs.
Enfant tu as imaginé
comme une hostilité des choses.
En les rêvant plus justement
tu parvins pourtant à comprendre
ce que nous apprend l’expérience :
que beauté et bonté s’allient
dans la bourrache et le tilleul,
et que l’ortie, si elle irrite
peut aussi être bénéfique.
La pierre, quant à elle,
N’a jamais eu un cœur de pierre.
Le granit n’offense personne,
il ne demande rien non plus.
Il est là, durable, massif,
ce bloc d’épais silence,
sûr de son destin de poussières.
Inerte, il énerve ceux qui s’agitent.
Tranquille, il n’excite que l’excité
qu’un rêve d’immortalité
pousse à graver son nom partout.
Et, pour passer sans transition
de la pierre à la bête,
tu reconnais que le requin,
qui n’est pas plus chrétien que toi,
dévore à belles dents
et sans distinction,
ce qui d’humain ou d’animal
vient traverser son territoire.
Est poisson, pour lui, ce qui nage
et, pour lui, tout poisson se mange.
Mais ne va pas surtout gloser
sur sa férocité,
car certains de tes congénères
le rejettent, vivant, à l’eau,
amputé de ses ailerons,
pour émoustiller le palais
d’extatiques gourmets
qui dépeuplent les océans.
ajoute à l’addition des péchés,
non du pêché mais du pêcheur,
celui de cruauté.
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RAYMOND FARINA
In " Anachronique "
.
Oeuvre Etel Adnan