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EMMILA GITANA
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29 mars 2009

TERRE DES HOMMES

« …Pour comprendre l’homme et ses besoins, pour le connaître dans ce qu’il a d’essentiel, il ne faut pas opposer l’une à l’autre l’évidence de vos vérités. Oui, vous avez raison. Vous avez tous raison. La logique démontre tout. Il a raison celui-là même qui rejette les malheurs du monde sur les bossus. Si nous déclarons la guerre aux bossus, nous apprendrons vite à nous exalter. Nous vengerons les crimes des bossus. Et certes les bossus commettent aussi des crimes.

Il faut, pour essayer de dégager cet essentiel, oublier un instant les divisions, qui, une fois admises, entraînent tout un Coran de vérités inébranlables et le fanatisme qui en découle. On peut ranger les hommes en hommes de droite et en hommes de gauche, en bossus et en non bossus, en fascistes et en démocrates, et ces distinctions sont inattaquables. Mais la vérité, vous le savez, c’est ce qui simplifie le monde et non ce qui crée le chaos. La vérité, c’est le langage qui dépasse l’universel. Newton n’a point « découvert » une loi longtemps dissimulée à la façon d’une solution de rébus, Newton a effectué une opération créatrice. Il a fondé un langage d’homme qui pût exprimé à la fois la chute de la pomme dans un près et l’ascension du soleil. La vérité, ce n’est point ce qui se démontre, c’est ce qui simplifie.

 

A quoi bon discuter les idéologies ? Si toutes se démontrent, toutes aussi s’opposent, et de telles discussions font désespérer du salut de l’homme. Alors que l’homme, partout, autour de nous, expose les mêmes besoins.

 

Nous voulons être délivrés. Celui qui donne un coup de pioche veut connaître un sens à son coup de pioche. Et le coup de pioche du bagnard, qui humilie le bagnard, n’est point le même coup de pioche du prospecteur, qui grandit le prospecteur. Le bagne ne réside point là où les coups de pioche sont donnés. Il n’est pas d’horreur matérielle. Le bagne réside là où des coups de pioche sont donnés qui n’ont point de sens, qui ne relient pas celui qui les donne à la communauté des hommes.

 

Et nous voulons nous évader du bagne.

 

Il est deux cent millions d’hommes, en Europe, qui n’ont point de sens et voudraient naître. L’industrie les a arrachés au langage des lignées paysannes et les a enfermés dans ces ghettos énormes qui ressemblent à des gares de triage encombrées de rames de wagons noirs. Du fond des cités ouvrières, ils voudraient être réveillés.

Il en est d’autres, pris dans l’engrenage de tous les métiers, auxquels sont interdites les joies du pionnier, les joies religieuses, les joies du savant.

 

On a cru que pour les grandir il suffisait de les vêtir, de les nourrir, de répondre à tous leurs besoins. Et l’on a peu à peu fondé en eux le petit bourgeois de Courteline, le politicien de village, le technicien fermé à la vie intérieure. Si on les instruit bien, on ne les cultive plus. Il se forme une piètre opinion sur la culture celui qui croit qu’elle repose sur la mémoire de formules. Un mauvais élève du cours de Spéciales en sait plus long sur la nature et sur les lois que Descartes et Pascal. Est-il capable des mêmes démarches de l’esprit ?

 

 Tous, plus ou moins confusément, éprouvent le besoin de naître. Mais il est des solutions qui trompent. Certes on peut animer les hommes, en les habillant d’uniformes. Alors ils chanteront leurs cantiques de guerre et rompront leur pain entre camarades. Ils auront retrouvé ce qu’ils cherchent, le goût de l’universel. Mais du pain qu’il leur est offert, il vont mourir.

On peut déterrer les idoles de bois et ressusciter les vieux mythes qui ont, tant bien que mal, fait leur preuve, on peut ressusciter les mystiques du Pangermanisme, ou d’Empire romain. On peut enivrer les Allemands de l’ivresse d’être Allemands et compatriotes de Beethoven. On peut en saouler jusqu’au soutier. C’est, certes, plus facile que de tirer du soutier un Beethoven.

Mais de telles idoles sont des idoles carnivores. Celui qui meurt pour le progrès des connaissances ou la guérison des maladies, celui-là sert la vie, en même temps qu’il meurt. Il est peut-être beau de mourir pour l’expansion d’un territoire, mais la guerre d’aujourd’hui détruit ce qu’elle prétend favoriser. Il ne s’agit plus aujourd’hui de sacrifier un peu de sang pour vivifier toute la race. Une guerre, depuis qu’elle se traite avec l’avion et l’ypérite, n’est plus qu’une chirurgie sanglante. Chacun s’installe à l’abri d’un mur de ciment, chacun, faute de mieux, lance, nuit après nuit, des escadrilles qui torpillent l’autre dans ses entrailles, font sauter ses centres vitaux, paralysent sa production et ses échanges. La victoire est à qui pourrira le dernier. Et les deux adversaires pourrissent ensemble.

 

 

Dans un monde devenu désert, nous avions soif de retrouver des camarades : le goût du pain rompu entre camarades nous a fait accepter les valeurs de guerre. Mais nous n’avons pas besoin de la guerre pour trouver la chaleur des épaules voisines dans une course vers le même but. La guerre nous trompe. La haine n’ajoute rien à l’exaltation de la course.

 

Pourquoi nous haïr ? Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d’un même navire. Et s’il est bon que les civilisations s’opposent pour favoriser des synthèses nouvelles, il est monstrueux qu’elles s’entre-dévorent.

 

Puisqu’il suffit, pour nous délivrer, de nous aider à prendre conscience d’un but qui nous relie les uns aux autres, autant le chercher là où il nous unit tous.

 

Le chirurgien qui passe la visite n’écoute pas les plaintes de celui qu’il ausculte : à travers celui-là, c’est l’homme qu’il cherche à guérir. Le chirurgien parle un langage universel. De même le physicien quand il médite ses équations presque divines par lesquelles il saisit à la fois l’atome et la nébuleuse.

 

Et ainsi jusqu’au simple berger. Car celui-là qui veille modestement quelques moutons sous les étoiles, s’il prend conscience de son rôle, se découvre plus qu’un serviteur. Il est une sentinelle.

 

Et chaque sentinelle est responsable de tout l’Empire.

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ANTOINE DE ST EXUPERY

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SALVADOR_DALI

OEUVRE SALVADOR  DALI

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