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EMMILA GITANA
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24 mai 2015

CANTIQUE DE LA CONNAISSANCE

L’enseignement de l’heure ensoleillée des nuits du Divin.
À ceux, qui, ayant demandé, ont reçu et savent déjà.
À ceux que la prière a conduits à la méditation sur l’origine du langage.
Les autres, les voleurs de douleur et de joie, de science et d’amour, n’entendront rien à ces choses.
Pour les entendre, il est nécessaire de connaître les objets désignés par certains mots essentiels
Tels que pain, sel, sang, soleil, terre, eau, lumière, ténèbres, ainsi que par tous les noms de métaux.
Car ces noms ne sont ni les frères, ni les fils, mais bien les pères des objets sensibles.
Avec ces objets et le prince de leur substance, ils ont été précipités du monde immobile des archétypes dans l’abîme de tourmente du temps.
L’esprit seul des choses a un nom. Leur substance est innomée.
Le pouvoir de nommer des objets sensibles absolument impénétrables à l’être spirituel
Nous vient de la connaissance des archétypes qui, étant de la nature de notre esprit, sont comme lui situés dans la conscience de l’œuf solaire.
Tout ce qui se décrit par le moyen des antiques métaphores existe en un lieu situé ; de tous les lieux de l’infini le seul situé.
Ces métaphores que le langage aujourd’hui encore nous impose dès que nous interrogeons le mystère de notre esprit,
Sont des vestiges du langage pur des temps de fidélité et de connaissance.
Les poètes de Dieu voyaient le monde des archétypes et le décrivaient pieusement par le moyen des termes précis et lumineux du langage de la connaissance.
Le déclin de la foi se manifeste dans le monde de la science et de l’art par un obscurcissement du langage.
Les poètes de la nature chantent la beauté imparfaite du monde sensible selon l’ancien mode sacré.
Toutefois, frappés de la discordance secrète entre le mode d’expression et le sujet,
Et impuissants à s’élever jusqu’au lieu seul situé, j’entends Pathmos, terre de la vision des archétypes,
Ils ont imaginé, dans la nuit de leur ignorance, un monde intermédiaire, flottant et stérile, le monde des symboles.
Tous les mots dont l’assemblage magique a formé ce chant sont des noms de substances visibles
Que l’auteur, par la grâce de l’Amour, a contemplées dans les deux mondes de la béatitude et de la désolation.
Je ne m’adresse qu’aux esprits qui ont reconnu la prière comme le premier entre tous les devoirs de l’homme.
Les plus hautes vertus, la charité, la chasteté, le sacrifice, la science, l’amour même du Père,
Ne seront comptées qu’aux esprits qui, de leur propre mouvement, ont reconnu la nécessité absolue de l’humiliation dans la prière.
Toutefois, je ne dirai de l’arcane du langage que ce que l’infamie et la démence de ce temps me permettent d’en révéler.
Maintenant, je peux chanter librement le cantique de l’heure ensoleillée des nuits de Dieu
Et, proclamant la sagesse des deux mondes qui furent ouverts à ma vue,
Parler, selon la mesure imposée par le compagnon de service
De la connaissance perdue de l’or et du sang.
J’ai vu. Celui qui a vu cesse de penser et de sentir. Il ne sait plus que décrire ce qu’il a vu.
Voici la clef du monde de lumière. De la magie des mots que j’assemble ici
L’or du monde sensible tire sa secrète valeur.
Car ce ne sont pas ses vertus physiques qui l’ont fait roi des esprits.
La vérité est cela par rapport à quoi l’Illimité est situé.
Mais la vérité ne fait pas mentir le langage sacré : car elle est aussi le soleil visible du monde substantiel, de l’univers immobile.
De ce soleil, l’or terrestre tire sa substance et sa couleur ; l’homme la lumière de sa connaissance.
Le langage retrouvé de la vérité n’a rien de nouveau à offrir. Il réveille seulement le souvenir dans la mémoire de l’homme qui prie.
Sens-tu se réveiller en toi le plus ancien de tes souvenirs ?
Je te révèle ici les origines saintes de ton amour de l’or.
La folie a soufflé sept fois sur le chandelier d’or de la connaissance.
Les mots du langage des Aaronites sont profanés par les enfants menteurs et les poètes ignorants
Et l’or du chandelier, saisi par les ténèbres de l’ignorance, est devenu le père de la négation, du vol, de l’adultère et du massacre.
Ceci est la clef des deux mondes de la lumière et des ténèbres. O compagnon de service !
Pour l’amour de cette heure ensoleillée de nos nuits,
Pour la sécurité de ce secret entre toi et moi,
Souffle-moi la parole enveloppée de soleil, le mot chargé de foudre de ce temps dangereux.
Je t’ai nommé ! te voici dans le rayon avant-coureur au sein du nuage figé, muet comme le plomb,
Dans le bond et le vent de la masse de feu,
Dans l’apparition de l’esprit virginal de l’or,
Dans le passage de l’ove à la sphère,
Dans l’arrêt merveilleux et dans la sainte descente, quand tu regardes l’homme entre les deux sourcils,
Dans l’immobilité de la nuée infinie, d’une seule prière, ouvrage des orfèvres du Royaume,
Dans le retour à la désolation mariée au Temps.
Dans le chuchotement de compassion qui l’accompagne.
Mais la clef d’or de la sainte science est demeurée dans mon cœur.
Elle m’ouvrira encore le monde de lumière. Gravir les degrés jusqu’à se sentir pénétré de la matière même de l’espace pur,
Ce n’est pas connaître ; c’est enregistrer encore des phénomènes de manifestation.
Le chemin qui mène du peu au beaucoup n’est pas celui de la sainte science.
Je viens de décrire l’ascension vers la connaissance. Il faut s’élever jusqu’à ce lieu solaire
Où l’on devient par la toute-puissance de l’affirmation — quoi donc ? — cela même que l’on affirme.
C’est ainsi que les mille corps de l’esprit se révèlent aux sens vertueux.
Monter d’abord ! sacrilègement ! jusqu’à la plus démente des affirmations !
Et puis descendre, d’échelon en échelon, sans regret, sans larme, avec une joyeuse confiance, avec une royale patience,
Jusqu’à cette boue où tout est déjà contenu avec une évidence si terrible et par une nécessité si sainte ! Par une nécessité sainte, sainte, sainte en vérité ! Alléluia !
Et qui parle ici de surprise ? il est encore une surprise dans l’apparition inattendue à travers les ombres d’une porte d’antique cité
D’un lointain de mer avec sa sainte lumière et ses voiles heureuses.
Mais dans la naissance d’un sens nouveau et d’un sens qui servira l’esprit de la science vraie, de la science amoureuse, il n’est plus de surprise.
C’est la coutume dans nos hauteurs d’accueillir toute nouveauté comme une épouse retrouvée après le temps et pour toujours.
Ainsi me fut révélée la relation de l’œuf solaire à l’âme de l’or terrestre.
Et ceci est la prière efficace où doit s’abîmer l’opérateur :
Entretiens en moi l’amour de ce métal que colore ton regard, la connaissance de cet or qui est un miroir du monde des archétypes
Afin que je dépense sans mesure tout mon cœur à ce jeu solaire de l’affirmation et du sacrifice.
Reçois-moi dans cette lumière archangélique qui sommeille mille ans dans le blé funéraire et y entretient le feu caché de la vie.
Car le blé des antiques tombeaux, versé dans le sillon, s’illumine comme un cœur de sa propre charité
Et ce n’est pas le soleil mortel qui donne à la moisson sa couleur invariable de sagesse.
Telle est la clef du monde de lumière. À qui la manie d’une main pieuse et sûre elle ouvre aussi — l’autre région.
J’ai visité les deux mondes. L’amour m’a conduit tout au fond de l’être.
J’ai porté sur ma poitrine le poids de la nuit, mon front a distillé une sueur de mur.
J’ai tourné la roue d’épouvante de ceux qui partent et reviennent. Il ne reste de moi en maint endroit qu’un cercle d’or tombé dans une poignée de poussière.
J’ai exploré à tâtons les labyrinthes hideux du monde de fureur et sous les grandes eaux sommeillent mes patries étranges.
Je me taisais. J’attendais que la folie de mon roi me saisît à la gorge. Ta main, ô mon roi ! est sur ma gorge. C’est là le signe, voici l’instant. Je parlerai.
Tu m’as fait naître dans un monde qui ne te connaît plus, sur une planète de fer et d’argile, nue et froide.
Au milieu d’un grouillement de voleurs abîmés dans la contemplation de leur sexe.
Là, à la puanteur du massacre succède l’encensement imbécile des trompeurs de peuples.
Et pointant, fils de la boue et de la cécité, je n’ai pas de mots pour décrire
Les précipices d’iniquité de cet autre Tout, de cet autre Illimité
Créé par ta propre toute-puissance de négation.
Ce lieu séparé, différent, hideux, cet immense cerveau délirant de Lucifer
Où j’ai subi durant l’éternité l’épreuve de la multiplication des grands fulgurants, des systèmes déserts.
Le plus atroce était au zénith et je le voyais comme d’un précipice de soleil noir.
Ah ! sacrilège infini auprès duquel le saint cosmos développé devant notre monde infime
Est comme un carré de givre illuminé pour la Nativité et prêt à fondre au souffle de l’Enfant.
Car tu es Celui qui est. Toutefois, tu es au-dessus de toi-même et de cette nécessité absolue par laquelle tu es.
Voilà pourquoi, Affirmateur, la totale négation est en toi, liberté de prier ou de ne pas prier. Voilà pourquoi aussi tu fais passer les affirmateurs par les grandes épreuves de la négation.
Car tu m’as jeté dans la chaleur la plus noire de cette éternité d’épouvante où l’on se sent saisi
À la mâchoire par le harpon de feu et suspendu dans la folie du vide parfait,
Dans cette éternité où les ténèbres sont l’absence de l’autre soleil, l’extinction de la joyeuse ellipse d’or ;
Où les lumières sont fureur. Où toute chose est moelle de l’iniquité.
Où l’opération de la pensée est unique et sans fin, partant du doute pour aboutir au rien.
Où l’on n’est pas solitaire mais solitude, ni abandonné mais abandon, ni damné mais damnation.
Je fus voyageur en ces terres du nocturne fracas
Où, seuls parmi les choses physiques,
L’amour furieux et la lèpre du visage baignent leurs maudites racines.
J’y ai mesuré, ver aveugle, les sinuosités d’une ligne de ta main. Ce pays de la nuit dense comme pierre,
Ce monde de l’autre étoile du matin, de l’autre fils, de l’autre prince, c’était ta main fermée. Cette main s’est ouverte et me voici dans la lumière.
Il faut l’avoir vu, Lui, l’Autre, pour comprendre pourquoi il est écrit qu’il vient comme le voleur. Il est plus loin que le cri de la naissance, il est à peine, il n’est pas. L’espace d’un grain de sable, le voici tout entier en toi, lui, l’autre, le prince assis muet dans la cécité éternelle.
Toi dans l’œuf solaire, toi, immense, innocent, tu te connais. Mais les deux infinis de ton affirmation et de ta négation ne se connaissent pas, ne se connaîtront jamais, car l’éternité n’est que la fuite de l’un devant l’autre.
Et toute la hideuse, la mortelle mélancolie de l’espace et du temps n’est que la distance d’un oui à un non et la mesure de leur séparation irrémédiable.
C’est ici la clef du monde des ténèbres.
L’homme en qui ce chant a réveillé non pas une pensée, non pas une émotion, mais un souvenir, et un souvenir très ancien, cherchera, dorénavant, l’amour avec amour.
Car c’est cela aimer, car c’est cela amour : quand on cherche avec amour l’amour.
J’ai cherché comme la femme stérile, avec angoisse, avec fureur. J’ai trouvé. Mais quoi ? mais qui ? le dominateur, le possesseur, le dispensateur des deux lèpres.
Et je suis revenu, afin de communiquer ma connaissance. Mais malheur à qui part et ne revient pas.
Et ne me plains pas d’y être allé et d’avoir vu. Ne pleure pas sur moi :
Noyé dans la béatitude de l’ascension, ébloui par l’œuf solaire, précipité dans la démence de l’éternité noire d’à côté, les membres liés par l’algue des ténèbres, moi je suis toujours dans le même lieu, étant dans le lieu même, le seul situé.
Apprends de moi que toute maladie est une confession par le corps.
Le vrai mal est un mal caché ; mais quand le corps s’est confessé, il suffit de bien peu pour amener à soumission l’esprit même, le préparateur des poisons secrets.
Comme toutes les maladies du corps, la lèpre présage donc la fin d’une captivité de l’esprit.
L’esprit et le corps luttent quarante ans ; c’est là le fameux âge critique dont parle leur pauvre science, la femme stérile.
Le mal a-t-il ouvert une porte dans ton visage ? le messager de paix, Melchisedech entrera par cette porte et elle se refermera sur lui et sur son beau manteau de lamies. Mais répète après moi : Pater noster.
Vois-tu, le Père des Anciens, de ceux qui parlaient le langage pur, a joué avec moi comme un père avec son enfant. Nous, nous seuls, qui sommes ses petits enfants nous connaissons ce jeu sacré, cette danse sainte, ce flottement heureux entre la pire obscurité et la meilleure lumière.
Il faut se prosterner plein de doutes, et prier. Je me plaignais de ne le point connaître ; une pierre où il était tout entier m’est descendue dans la main et j’ai reçu au même instant la couronne de lumière.
Et regarde-moi ! Environné d’embûches je ne redoute plus rien.
Des ténèbres de la conception à celles de la mort, un fil de catacombes court entre mes doigts dans la vie obscure.
Et pourtant, qu’étais-je ? Un ver de cloaque, aveugle et gras, à queue aiguë, voilà ce que j’étais. Un homme créé par Dieu et révolté contre son créateur.
« Quelles qu’en soient l’excellence et la beauté, aucun avenir n’égalera jamais en perfection le non-être. » Telle était ma certitude unique, telle était ma pensée secrète : une pauvre, pauvre pensée de femme stérile.
Comme tous les poètes de la nature, j’étais plongé dans une profonde ignorance. Car je croyais aimer les belles fleurs, les beaux lointains et même les beaux visages pour leur seule beauté.
J’interrogeais les yeux et le visage des aveugles : comme tous les courtisans de la sensualité, j’étais menacé de cécité physique.
Ceci est encore un enseignement de l’heure ensoleillée des nuits du Divin.
Jusqu’au jour où, m’apercevant que j’étais arrêté devant un miroir, je regardai derrière moi. La source des lumières et des formes était là, le monde des profonds, sages, chastes archétypes.
Alors cette femme qui était en moi mourut. Je lui donnai pour tombeau tout son royaume, la nature. Je l’ensevelis au plus secret du jardin décevant, là où le regard de la lune, de la prometteuse éternelle se divise dans le feuillage et descend sur les endormies par les mille degrés de la suavité.
C’est ainsi que j’appris que le corps de l’homme renferme dans ses profondeurs un remède à tous les maux et que la connaissance de l’or est aussi celle de la lumière et du sang.
O Unique ! ne m’ôte pas le souvenir de ces souffrances, le jour où tu me laveras de mon mal et aussi de mon bien et me feras habiller de soleil par les tiens, par les souriants. Amen.

 

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OSCAR VLADISLAS DE LUBICZ MILOSZ

 

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thami benkirane,

Photographie Thami Benkirane

 

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