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EMMILA GITANA
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15 juillet 2008

MONOLOGUE AU BOUT DES VAGUES


Découvrez Rokia Traoré!

 

Il est désormais certain que ce jour n’a jamais été. Aucune parcelle de cette aube première n’a laissé de traces. Aucun cri de coq n’a salué l’horizon. Voilà ce qu’il se disait pour tenter d’évacuer cette époque dont il ne voulait plus garder de souvenir.

Depuis qu’il était venu de sa terre nourricière, à l’écoute des autres, il s’était senti en brousse, en jungle d’êtres, s’abreuvant d’espoir et de nuits étoilées, offrant sa jeunesse, sa force et sa pureté à qui voulait, comme lui, refaire le Monde.

Ne croyez pas qu’il soit resté muet. Il disait son rêve. Oui, il avait causé. Longtemps. Tout ce jour dont il ne voulait plus et qui partait en lambeaux dans l’oubli.

Il disait avoir connu la France verte et humide d’espérance. Le temps avait passé. Les saisons avaient perdu la raison. La terre avait désormais la fièvre. Sa température inquiétait. Les guerres s’entremêlaient, de frontières en frontières, de ville en ville, de cœur en cœur. La Planète se mourait. La haine, le plus naturellement du monde, avait enclenché le compte à rebours.

Il avait pourtant grandi à l’ombre d’immenses certitudes. Elles n’étaient plus là pour l’aider à retrouver son Nord. Perdue son étoile vacillante qui devait le guider vers un Monde meilleur!

Il se retrouvait en plein naufrage. Les vagues en furie le maintenaient au large...

Il lui fallut des efforts surhumains pour parvenir à prendre pied sur une espèce de grève. Il venait de rejoindre ces lieux où furent gravée, entre Bastille et guillotine, la proclamation des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Ce matin-là, son regard butait sur des corps aplatis pratiquement incrustés aux trottoirs de la Solitude. Des fusillés de la misère gisaient au hasard des rues. L’Oubli et l’Indifférence côtoyaient l’Ennui et la Désespérance. En quelques minutes une émission de télévision l’avait trimballé de Palestine, du Liban, aux explosions d’Irak, au rictus de Poutine, au cynisme de Bush, aux famines d’Afrique, aux génocides, aux multiplications, aux divisions, aux soustractions, aux additions, aux hypothèses, aux sondages, aux pourcentages, aux statistiques, aux mensonges, aux calomnies, au détournement des consciences, des rêves, à l’accumulation des richesses, à l’emballement de la pauvreté, des détresses, aux injustices de toutes sortes, aux palabres des pouvoirs en place, des privilèges ahurissants, des incompétences notoires, des manœuvres politiciennes, des cris de désespoir de femmes battues, violées, brûlées, des mutilés de toutes les races, de toutes les conditions sociales, des chômeurs, des drogués, des exclus, des séquestrés, des affamés…

Un voleur de nuit est passé comme un fantôme, sur la pointe des pieds,  répandant une fumée trop épaisse et trop lourde, qui s’insinuait dans son destin.

Qu’était-il devenu le temps de ses discours aux immigrés haïtiens regroupés dans l’exil, contre la Dictature, pour tenter, avec eux, de chanter la  Dignité, la Liberté, l’Egalité, et la Fraternité, en un mot, l’Homme avec un grand F comme il aimait à dire ?…Où était-elle passée sa soif d’ouverture, de rires et de claques amicales dans le dos ?…

Qu’étaient donc devenus ces élans vers ce qu’il espérait d’une Démocratie possible ?

Un jour nouveau s’était levé. Il avait plu la nuit. La pluie toutes ces larmes de pluie milliers de gouttes qui claquent éclatent sur les pierres chantent sur les feuilles tapent sur les tôles et par moment changent de cadence chante cette multiplication effrénée obstinée rageuse ample ces coups d'archets profonds de violoncelle ces voix fantômes qui s'entrecroisent et qui semblent livrer la sourde plainte des bidonvilles ruissellements obstinés laborieux infatigables ces cordes de guitares fluides de sons désaccordés la pluie de son enfance rêveuse de ses yeux étonnés ouverts dans la nuit de son amour des autres d’Elle à venir de son être tendu croisant le désespoir des rues et ses forces à tenir le monde entre ses mains à soutenir l'ennui à saccager la mort à cueillir l'offrande de sa terre de ses premiers émois la pluie tombe dans mon crâne se disait-il déborde mon âme inonde ma plaine la pluie la pluie qui tombe sur moi entre nous dans ta maison dans ta chambre sur ton coeur sur ton corps la pluie saison-été-caraïbe-éclaboussée la pluie encore ton visage mouillé tes larmes d'hier au soir ta robe bleue si belle tes épaules tes hanches ta taille et la pluie la pluie qui goutte à présent lentement précautionneusement tintinnabule au-dehors frisson humide de tes lèvres la pluie la pluie goutte stalactite de mes mille pensées en vrac en foule de toi pour toi la pluie de tes paupières empierrées de sommeil la pluie sur ta fatigue la pluie douce des mots sur ton front la pluie dors mon amour pluie couleur de mon désir pluie d'espace si grand de ta présence pluie du petit mendiant de ce midi de sa détresse de notre impassible impossibilité pluie de ta fuite en taxi pluie source pluie crevant le roc pour sourdre  à tes pieds sous tes pas pluie ma pluie notre pluie qui tombe à genoux devant toi sur nous qui nous aimons sous le ciel d'Haïti dans la nuit sourde de ton baiser fébrilement téléphoné fiévreusement cueilli...

Et ce jour, celui-là même qui succédait à celui dont il proclamait l’inexistence, s’était levé. Après la pluie le temps est beau lui avait-on appris dans son enfance. Il y avait là, des bouts d’aurores imperceptibles perlant de rosée, exhalant une odeur de terre et de larmes. Il se tenait debout, les deux pieds bien à plat, posés dans le purin de l’amour, découvrant à nouveau raisons de vivre et d’agir... Certitude une fois encore, qu’Amour serait mieux qu’hier, dénominateur commun de Lutte et de Tendresse....

Il voulait en finir avec ces dérives de continents qui mettent à plat tous les savoirs géophysiques.

Il voulait encore, toujours, jusqu’au bout, tenir. Pour être de ceux qui continuent pourtant  à croire aux lendemains qui chantent…

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GERALD  BLONCOURT

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20lecomte

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