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EMMILA GITANA
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18 décembre 2009

L'ORTHOGRAPHE

Enfant, je m’endormais sur des K.-O. de rêve», chante le boxeur de Claude Nougaro.
Enfant, je m’endormais sur une moisson de certitudes en or. Je savais toujours tout, j’avais toujours tout compris. Plein d’assurance, je naviguais à l’aise parmi les vérités que j’avais arrachées à l’univers simpliste des adultes. Je dois ajouter que j’éprouvais pour eux, les «grands», une certaine commisération.
Tout me confortait dans mon sentiment de supériorité.
Cela avait dû commencer à la maison lors de ces joutes «bébêtes» où les adultes laissent gagner les bambins.
Cela s’était poursuivi à l’école où rien de ce que l’on m’enseignait ne me surprenait vraiment.
Ainsi, en orthographe, j’ai très vite établi la correspondance entre graphie et sens et, lorsque l’instituteur parlait d’étymologie, je me disais: «Il cache sous de grands mots ce qui est à la portée du premier cancre venu.»
Je me rappelle une de ces découvertes. Dans une dictée, j’avais écrit «bato». Quand le maître m’a rendu mon cahier, il avait corrigé en écrivant «bateau».
– Bien sûr!, me suis-je dit. Un bateau, c’est fait pour aller sur l’eau et comme «l’eau» s’écrit E-A-U, il est normal que l’on écrive «bateau» avec E-A-U.
Lorsque, quelques jours plus tard, il a fallu écrire «seau», je ne fus pas long à déduire que je devais mettre «S-E-A-U», puisqu’un seau est un récipient qui sert à transporter de l’eau…
Pour moi, l’affaire était classée et j’écrivis correctement du premier coup les mots: «roseau», «anneau», «caniveau», «radeau» et même «beauté» car, à cet âge, je trouvais qu’il n’y avait rien de plus beau que le lac du Bourget à deux pas de chez moi. Certes, il y avait souvent des coups durs, comme «ciseaux» ou «tableau» qui n’entraient pas dans la danse et me coûtaient un point chacun. Qu’à cela ne tienne, je leur trouvais dans l’instant une explication qui étayait encore mon assurance et ma suffisance. Les rideaux, par exemple, n’imitent-ils pas le mouvement des vagues? Les châteaux ne sont-ils pas presque toujours bordés de douves? Que dire de «cargo» et «paquebot»? Qu’il suffit de se rappeler que les marins sont gens superstitieux! Et de «chameau»? Un animal qui peut ingurgiter trente litres d’eau en dix minutes mérite largement le E-A-U, non?
C’est «cadot» qui m’a fait mettre genou à terre et «lavabeau» qui m’a porté le coup de grâce. Je ne comprenais pas…, je ne comprenais plus et, pour tout dire, j’étais déçu. Ce n’était plus de la commisération que j’éprouvais pour le monde des «grands», mais de la défiance: ils n’avaient même pas été capables d’inventer ça…

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ALAIN  TCHUNGUI

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