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EMMILA GITANA
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11 mars 2010

FRAGMENT D'UNE POETIQUE DE FEU...Extrait

 Mon premier oiseau de feu, je l'ai vu plonger dans ma rivière. C'était en un grand jour de soleil, quand la rivière porte justement son nom d'Aube, rivière agrandie par l'enfance, tranquille et toute bleue comme le ciel. L'oiseau de feu surgit, telle une flèche lancée au firmament. Le cri strident, d'où venait-il ? de l'oiseau de lumière ou de l'enfant étonné, de l'enfant solitaire ? Bien vite, l'oiseau, bousculant le miroir, projetant des perles d'eau qui furent peut être son seul butin, repartit vers le ciel. C'était un martin-pêcheur bleu comme du fer chauffé. L'oiseau disparu, les rêves commencent. Il venait de si haut dans le ciel, au-delà des arbres ! N'a-t-il pas, cet oiseau de feu, son nid dans le soleil, dans le soleil de juin ? Mais quelle offense, quel crime contre une eau si paisible ! Dans la nature, tout ce qui va vite est criminel. Cette flamme qui descend du ciel, pourquoi ne vient-elle pas tendrement se mirer dans le miroir des eaux ? Comment un être si beau peut-il être si vorace ? Quelle dramatique conjonction du martin-voleur et de l'ablette argentée ! Toute cette cruauté du bleu peut-elle émouvoir la philosophie d'un enfant ?

 

 Un petit évènement dans la vie d'un enfant n'est-il pas un évènement de son monde, donc un évènement du monde. Dans son unicité, un tel souvenir est un cosmodrame naturel. Quand un souvenir peut ainsi monter au cosmodrame, on ne sait pas bien si c'est un point d'histoire ou le point de départ d'une légende. Mon Martin-Pêcheur est un Phénix dans le Pays de ma Mémoire.

 

 Quand le prodige fut rendu au néant l'émerveillement devint mélancolie. Une autre fois, quand je n'étais plus enfant, j'ai revu le martin-pêcheur sur la même rivière. Nous étions deux en un même jour de soleil d'été ! Je connaissais la joie de multiplier les images en les associant aux légendes lues dans les livres. Les légendes servent à exprimer les beautés du monde, on doit les retrouver en contemplant une image extraordinaire. L'oiseau fulgurant est l'image princeps du Phénix.

 

 Les grands Phénix dont j'avais aimé les prestiges dans l'histoire des Mythes vivent un an, vivent cent ans. Le mien, le nôtre ne pouvait durer qu'un instant. Mais quel instant que celui qui symbolise un sommet de bonheur !

 

 Le phénix-martin-pêcheur n'est plus jamais revenu dans ma vie. Au fond, nous voyons si peu de grandes choses au cours de nos journées. Est-il un homme au cent qui ai regardé le martin-pêcheur ? Peut-être quelque chasseur qui vise tout ce qui vole ? Mais en visant si bien, voit-il ? La proie dans le carnier, le chasseur peut-il se souvenir du ciel d'été, de la rivière frissonnante ? Comment la pensée lui viendrait-elle, comment les rêves lui viendraient-ils d'un oiseau qui trouve la mort dans l'excès de sa gloire ? Passant alors du splendide à l'utile, l'homme-chasseur se rappelle-t-il l'axiome des gourmands : "les belles plumes cachent de la mauvaise viande" ?

 

 Une fois de plus on peut se convaincre que voir de près c'est s'interdire de rêver loin. Et le rêveur voit dans la proportion où il augmente la vision, où il voit le monde digne d'un bel objet. Alors la flèche vivante, l'oiseau de feu, l'image ardente est le centre d'un monde.

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GASTON  BACHELARD

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Oeuvre Didier Delamonica

Commentaires
A
Bachelard... à lire et relire sans mesure !
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EMMILA GITANA
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