LETTRE OUVERTE D'UN PSYCHIATRE A NICOLAS SARKOZY
Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République à propos de son discours du 2 décembre 2008 à l'hôpital Erasme d'ANTONY concernant une réforme de l'hospitalisation en psychiatrie.
Etampes, le 8 décembre 2008
Monsieur le Président,
Eluard écrit dans Souvenirs de la Maison des Fous « ma souffrance est souillée ».
Après le meurtre de Grenoble, votre impatience à répondre dans l'instant
à l'aspiration au pire, qu'il vaudrait mieux laisser dormir en chacun
d'entre nous, et que vous avez semble t-il tant de difficulté à
contenir, vous a amené dans votre discours du 2 décembre à l'hôpital
Erasme d'Antony à souiller la souffrance de nos patients.
Erasme, l'auteur de « L'Eloge de la Folie » eut pu mieux vous inspirer,
vous qui en un discours avez montré votre intention d'en finir avec plus
d'un demi siècle de lutte contre le mauvais sort fait à la folie :
l'enfermement derrière les hauts murs, lui appliquant les traitements
les plus dégradants, leur extermination en premier, quand la barbarie
prétendit purifier la race, la stigmatisation au quotidien du fait
simplement d'être fou.
Vous avez à Antony insulté la mémoire des Bonnafé, Le Guillant, Lacan,
Daumaison et tant d'autres, dont ma génération a hérité du travail
magnifique, et qui ont fait de leur pratique, œuvre de libération des
fécondités dont la folie est porteuse, œuvre de libération aussi de la
pensée de tous, rendant à la population son honneur perdu à maltraiter
les plus vulnérables d'entre nous. Lacan n'écrit-il pas « l'homme
moderne est voué à la plus formidable galère sociale que nous
recueillions quand elle vient à nous, c'est à cet être de néant que
notre tâche quotidienne est d'ouvrir à nouveau la voie de son sens dans
une fraternité discrète, à la mesure de laquelle nous sommes toujours
trop inégaux ».
Et voilà qu'après un drame, certes, mais seulement un drame, vous
proposez une fois encore le dérisoire panégérique de ceux que vous allez
plus tard insulter leur demandant d'accomplir votre basse besogne, que
les portes se referment sur les cohortes de patients.
.../...
.../...
De ce drame, vous faites une généralité, vous désignez ainsi nos
patients comme dangereux, alors que tout le monde s'entend à dire qu'ils
sont plus vulnérables que dangereux.
Mesurez-vous, Monsieur le Président, l'incalculable portée de vos propos
qui va renforcer la stigmatisation des fous, remettre les soignants en
position de gardiens et alarmer les braves gens habitant près du lieu de
soin de la folie ?
Vous donnez consistance à toutes les craintes les moins rationnelles,
qui désignant tel ou tel, l'assignent dans les lieux de réclusion.
Vous venez de finir d'ouvrir la boîte de Pandore et d'achever ce que
vous avez commencé à l'occasion de votre réplique aux pêcheurs de
Concarneau, de votre insulte au passant du salon de l'agriculture,
avilissant votre fonction, vous déprenant ainsi du registre symbolique
sans lequel le lien social ne peut que se dissoudre. Vous avez donc,
Monsieur le Président, contribué à la destruction du lien social en
désignant des malades à la vindicte, et ce, quelques soient les
précautions oratoires dont vous affublez votre discours et dont le miel
et l'excès masquent mal la violence qu'il tente de dissimuler.
Vous avez donc, sous l'apparence du discours d'ordre, contribué à créer
un désordre majeur, portant ainsi atteinte à la cohésion nationale en
désignant à ceux qui ne demandent que cela, des boucs émissaires, dont
mes années de pratique m'ont montré que justement, ils ne pouvaient pas
se défendre.
Face à votre violence, il ne reste, chacun à sa place, et particulièrement dans mon métier, qu'à résister autant que possible.
J'affirme ici mon ardente obligation à ne pas mettre en œuvre vos
propositions dégradantes d'exclure du paysage social les plus
vulnérables.
Il en va des lois comme des pensées, certaines ne sont pas
respectables ; je ne respecterai donc pas celle dont vous nous annoncez
la promulgation prochaine.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, la très haute considération que je porte à votre fonction.
Docteur Michaël GUYADER
Chef de service du 8ème secteur
De psychiatrie générale de l'Essonne,
Psychanalyste..
Pour mieux comprendre la colère du Dr Guyader, le discours en pdf.
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