ANTI PROCES-VERBAL
Je constate,
je n'en bâtis pas un système au sommet duquel je NOUS place
je constate,
mais qu'un chat me prenne pour un chat,
pis encore une chatte.
Qu'un chien veuille pour mon bien m'imposer sa vue de chien,
qu'une grenouille me reproche mes poils,
qu'un corbeau me vante la charogne ou un lion
les entrailles chaudes d'une antilope.
NON
Et pourtant voilà où nous en sommes
dans les manuels scolaires, les cénacles, les tables rondes,
les programmes de n'importe quel parti.
Il n'y eut jamais que la prise du pouvoir
par une certaine façon d'éprouver
par une certaine espèce dans cette physiologique,
espèce qu'on dit "humaine".
Il n'y eut, il n'y a pas d'humanisme"
qui ne soit ce despotisme
Alors ?
eh bien alors c'est la sauvage sauvegarde contre toute emprise
de ce "je ne sais quoi" ou "...pas",
c'est pareil - qui donnerait à tous les révolutionnaires raison
s'il était accompagné de la force native sans quoi il avorte.
Je ne reproche rien aux avortés
sont-ils des avortés ou des victimes d'un modèle,
des séparés d'eux-mêmes des fragmentés des engloutis ?
je ne suis pas une compagnie de sauvetage,
je reproche de moins en moins,
je plains de moins en moins,
ne verse pas une larme
sur les dominicaux morts de Pâques ou du mois d'Août,
je ne suis pas chargé de l'ours ni du ténia,
je ne suis pas chargé de l'air que je respire,
mais je suis pour le changement
car il peut réveiller ceux qui seulement dorment
ce sont les seules victimes !
Il y a des coriaces, des forces congénitales inavortables,
des vies, elles sont rares, elles viennent dans n'importe
quelle race, clan, secte, langue
elles absorbent tout cela contiennent tout cela,
ne sont pas contenues, ne sont explicables, imitables
des vies
J'ai salué les doux
Me faut-il un interlocuteur?
Je n'ai pas le vertige, même différents, même opposés
nous nous reconnaissons en quelque chose,
un influx comme d'un même feuillage,
mais ce serait d'un arbre aux mille millions
milliards de racines , de troncs,
nous nous reconnaissons
nous négligeons l'absence et le monde est peuplé
mais sans aucun pardon pour intégrer les restes
cette fraternité de mousse et d'aloès,
de chenilles et de ciel de cascade et de poux
nous lâchons les béquilles des vies
elles contiennent tout ce qui sur Terre vit.
Il y a cependant les affiches qui gueulent,
qu'on ne voit même plus,
qu'on ne veut même plus arracher.
Il y a, la longue pompe aspirante des routes à grand tirage
qui font qu'on ne sait plus s'arrêter,
sauf dans des vapeurs d'huile et de gaz brûlés.
Il y a l'horreur à la terrasse des monuments aux morts
qu'on ne veut même plus voir sauter.
Il y a l'arrêt fixe au poteau des vacances,
panorama prévu et masque à oxygène donné pour de l'air pur.
Il y a la donzelle en short monoprix,
étendue dans les champs en gueulant transistor.
Il y a en hiver le cinéma qu'on prend, le disque qu'on rabache,
le sourire chewing-gum de l'idole, neuve icône pendue au front du lit.
Il y a ces cervelles bourrées dès les 6 ans de fausses certitudes.
Il y a ces regards par millions, satisfaits, fascinés, avalant sans en rien rejeter
la voix sortie des lèvres de mannequins payés.
C'est à vous que je parle,
vous que j'ai coudoyés dans l'anonymité usante,
sous l'uniforme, l'informe, la masse accélérée en descente d'objets.
Je vous ai vus ramper, je détournais les yeux,
je vous voyais vous mettre en boule dans votre coin,
n'être plus qu'un manche de balai une manivelle,
un tout ce qu'on voudra,
pourvu qu'on ne perde pas ce qu'a pas le voisin.
Vous,
atrocement plats devant l'autorité des hommes et "d'un état des choses".
Je n'avais rien à perdre
la preuve est que la vie m'a emmené au lieu
où jouir et donner s'unissent en un seul mot.
Nous n'avons rien à perdre,
vous haussez les épaules,
vous craignez de laisser paillasse pour bois dur et haricots pour fèves.
Vous comptez votre paie, votre tendresse,
vos joies les voilà enterrées verrouillées,
empêchées de nuire, n'est-ce-pas de changer quelque chose ?
Vous,
mis hors-course, dévalués et qui nous expulsez.
S'il en est parmi nous échappés par la drogue,
s'il en est parmi nous fous à lier,
s'il en est revenus comme vous, résignés,
c'est que vous nous manquez.
C'est que toute richesse non risquée en plein jour, atrocement nous manque.
Une harmonie se nomme, elle est très exigeante,
elle n'est pas encore née, elle vous demande.
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BERNARD JACOBIAK
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Photographie James Porto