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EMMILA GITANA
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23 juin 2011

LES PAS DE L'EAU...Extrait

J'ai bâti une maison à l'autre bout de la nuit.

Ici, dans cette maison, je suis tout proche de l'anonymat humide de l'herbe.
J'entends le crépitement du souffle du jardin,
Le son de l'obscurité lorsqu'elle coule de la feuille,
Le grincement de la toux de la lumière derrière l'arbre,
L'éternuement de l'eau dans les fissures des pierres,
L'égouttement des hirondelles du plafond du printemps,
Le battement clair des fenêtres de la solitude qui s'ouvrent et se referment,
Le chuchotement pur de l'amour qui change mystérieusement de peau,
L'intense désir des hauteurs qui crépite dans l'aile,
Le crissement d'une fêlure qui raie la maîtrise de l'esprit.
J'entends marcher la passion,
Le piétinement inexorable du sang dans les veines,
La pulsation matinale des puits d'où s'envolent les pigeons.
La fièvre vespérale au cœur des Vendredis.
J'entends l'écoulement des œillets dans les méandres de la pensée,
Le hennissement clair de la Vérité au loin.
J'entends la vibration furtive de la matière.
Et l'usure des semelles de la foi dans la rue de l'extase.
Et le clapotement de la pluie :
Sur les paupières moites de l'amour,
Sur la musique triste de la puberté,
Sur le chant poupre des grenadiers.
Et le tintamarre des vitres de la joie qui éclatent dans la nuit.
Et le déchirement du parchemin de la Beauté,
Et la pompe du vent qui emplit et qui vide le corps de l'Exil.
Je suis proche des rigines de la terre.
Je tâte désormais le pouls des fleurs.
J'ausculte le destin fluide de l'eau, l'accoutumance verte de l'arbre.

Mon âme circule dans la vertu inédite des choses.
Mon âme est encore toute jeune,
Parfois, à force de désir, la toux la prend à la groge.
Mon âme oisive vaque à l'accueil des choses :
Elle se met à compter les gouttes de pluie et les joints des briques.
Mon âme est aussi palpable qu'une pierre
Au bord du chemin

Je n'ai jamais vu la haine de deux peupliers.
Je n'ai jamais vu un saule vendre son ombre à la terre.
Et gratuitement l'orme offre sa branche aux corbeaux.
Partout où frémit une feuille, s'épanouit aussi le bourgeon de l'ardeur.
L'ivresse d'un pavot m'a baptisé déjà dans le vertige du devenir.

Tel l'aile de l'insecte je connais le poids de l'aube.
Tel un pot pour les fleurs je tends l'oreille au murmure de la croissance.
Tel une corbeille pleine de fruits j'assiste à la fièvre des métamorphoses.
Tel une taverne désolée je m'arrête à la frontière de l'ennui.
Et tel une maison au bord d'une plage,
Je contemple les flots qui m'invitent à leur cadence éternelle.

Du soleil tant que tu voudras ! de l'union tant que tu voudras ! De la profusion tant que tu voudras !

Je m'en tiens facilement à une pomme.
De même qu'au parfum d'une camomille.
Je me contente d'un miroir, d'un attachement pur.
Je ne ris pas quand éclate un ballon.
Je ne ris pas si une quelconque philosphie coupe la lune en deux.

Je connais le bruissement de l'aile des cailles.
La couleur du plumage des outardes, les traces de la foulée des chevreuils.
Je sais bien où poussent les rhubarbes, quand vient l'étourneau,
Quand chante la perdrix, quand meurt le faucon.
Je sais comment se lève la lune dans le rêve du désert.
Je connais la présence de la mort dans la tige du désir,
Et le plaisir au goût de framboise que procure l'étreinte charnelle
La vie est somme toute une habitude agréable.
La vie a des ailes aussi vastes que la mort,
Un essor vertigineux comme l'amour.
La vie n'est pas cette chose que nous oublions, toi et moi,
L'ayant égarée naguère dans la niche de l'habitude.
La vie est cette main tendue qui s'apprête à cueillir
Les premières figues noires dans la bouche acre de l'été,
La vision qu'offre l'arbre aux yeux multiples des insectes,
La sensation étrange qu'épouvent les oiseaux migrateurs,
Le sifflement d'un train qui vire dans le rêve d'un pont,

La vie est reflet multiplié par le miroir,
Fleur "
à la puissance de l'éternité",
Elle est : terre amplifiée par nos battements de cœur,
Géométrie simple et monotone de nos respirations.

Ιl faut laver nos yeux.
Ιl faut voir d'une autre manière.
Ιl faut purifier nos mots.
Ιl faut que le mot puisse lui-même devenir vent,
Puisse lui-même devenir pluie.
Ιl faut plier nos parapluies.
Ιl faut rester sous la pluie.
Ιl faut que pensée et mémoire en puissent être imprégnées.
Ιl faut suivre toute la ville à l'accueil de la pluie.
Voir son ami sous la pluie.
Chercher l'amour sous la pluie.
S'unir à une femme sous la pluie.
Se livrer au jeu sous la pluie.
Écrire, parler ou planter des volubilis sous la pluie.
La vie n'est qu'un baptême perpétuel.
Une ablution dans la vasque de l'éternel présent.

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SOHRÂB SEPEHRI

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rocher_noir_blanc_art_digital

 
 

 

Commentaires
A
j'aurais aimé connaître SOHRÂB SEPEHRI, pour qu'il m'apprenne à entendre<br /> " Le hennissement clair de la Vérité au loin.<br /> la vibration furtive de la matière.<br /> Et le tintamarre des vitres de la joie qui éclatent dans la nuit.<br /> Et le déchirement du parchemin de la Beauté"
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EMMILA GITANA
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