La pluie dans la mémoire, est-ce que ça mouille ? N’est-ce pas déjà une éponge toute imbibée, la mémoire ?
Jamais ne s’essore, la mémoire.
L’œil, qui est celui du cœur est sans cesse ouvert ; j’y distingue l’homme sur son chemin de pluie, fantomatique, et il a le cœur transparent.
La pluie s’abat par averses dures et régulières sur cette plaine sombre où une lumière rasante et fragile illumine encore les lignes d’arbres, le long des berges. La rivière n’est qu’un grondement d’eau furieuse, dans cet octobre indatable ; elle a incisé ma mémoire et y approfondit sa marque acérée.
L’homme se courbe au-dessus de lui-même ; je le vois de loin, au milieu du chemin, arrêté par je ne sais quoi qu’il scrute.
Il est comme présence, dans la pluie battante, l’œil fixe ouvert au milieu de sa poitrine. Il ne cesse de voir ; cet œil n’a pas de visage.
C’est un œil intérieur, œil du cœur, qui regarde une très ancienne solitude.
Il y a l’œil du cœur de celui qui marche, replié sur lui, et l’œil de la mémoire de celui qui regarde de très loin, figé derrière une paroi indéfinissable de temps.
Les deux finissent par se confondre, comme se confondent le père défunt et le fils vivant, le fils défunt et le père vivant.

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JOËL-CLAUDE MEFFRE

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divin