MADAME, AVANT LE JOUR...
Madame,
qui d'hier me regardez
comme un jugement d'ailes
on m'a conté vos cris
et vos prières
l'histoire de mes frères
assis
veillant à vos côtés
l'ange noir
la beauté des Enfers
que leurs yeux n'osaient plus
ni voir ni boire
de peur qu'on les réveille
avant le jour, Madame,
avant le jour
Tant d'années ont passé
à lisser l'aube et la lumière
sous une barque
sans autre poésie
que l'oubli de la Seine
Tant d'objets ont poli
jusqu'à l'iris
nos coeurs d'enfants
sous une image
sans autre cathédrale
qu'un manège en fer blanc
Que peuvent encore les flammes
Madame,
pour un aveugle
que l'on promène entre deux pierres
entre deux rives mortes
sans flèche et sans boussole
repu
de laideurs ordinaires
Que peuvent encore les flammes
Madame,
pour un enfant
que l'on recrache entre deux mers
entre deux rives sèches
sans but et sans visages
perdu
dans une forêt de cendres
Que peuvent encore les flammes
Madame,
pour l'homme seul
portant ses ruines
comme on porte une histoire
trop longue
sans regarder le ciel
qu'à l'hideuse fenêtre
d'un écran de poussières
Toutes beautés ardentes
Madame,
criez encore un peu
pour réveiller nos frères
avant le jour, Madame,
avant le jour
et souffler à la pierre
plus qu'elle-même
des mains à rebâtir
pour tendre l'eau, Madame,
aux gorges assoiffées
aux regards asséchés
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Rebâtir l'Homme avant la pierre...
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LAURENT DELABESSE
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Gargouilles, Notre Dame de Paris