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EMMILA GITANA
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4 mars 2020

DESIR,CORPS, ECRITURE....Extrait

"Comment écrire le désir ? Comment approcher ce qui nous meut, chacun, intrinsèquement, au plus intime de nos vies, sans métaphores, approximation, balbutiement. Comment ne pas cesser d'être à-côté, en-deçà, et ne cesser d'imaginer autour de ce réel introuvable, invérifiable, la vérité de notre corps ? Car le désir c'est d'abord le langage du corps. Une histoire de corps. Son chiffre même, sa passion secrète, sa généalogie. Pas de corps sinon en mal de désir, c'est-à-dire empêché, entravé, mais aussi transporté, aimanté. Et c'est encore le corps qui, par le symptôme, désigne que ce qui le traverse n'est pas connu ou si peu, de la raison qui croit le gouverner. Le langage du corps est un mi-dire, un médire, comme l'énonçait Lacan, car il y a assez longtemps qu'on sait sous toutes les latitudes, que le désir c'est une histoire des chaînes, de déchaînements et d'enchaînements. Avec les mots, entre les mots et sans les mots.
Les effets du désir nous arrivent au futur antérieur. Si seulement on avait su...De cette méconnaissance, de ce temps de retard irrattrapable naît la pensée, je veux dire cette faculté de penser le désir précisément à l'endroit du manque. Pareil au foulard qui s'échappe de main en main sans qu'on puisse l'attraper, mais seulement s'exclamer, après coup : il était là, je l'ai vu. Qu'est-ce qui le retient du côté de l'écriture, dans ce qui le constitue comme écriture même ? Car le désir, je crois, s'écrit, et pas seulement dans les livres, mais dans tout ce qui fait trace, inscription, mémoire, archives, tout ce qui ainsi fait passage entre les vivants et les morts.
Quand il n'y a plus d'accès au désir, on se meurt, invisiblement, plus rien n'est aimanté, le sens vous a quitté, les tâches sont mécaniques. De cette vie hors désir que l'on appelle aussi Dépression, que peut-on dire ? C'est ce désir exténué qui arrive dans nos chambres semi-closes d'analystes dont on attend qu'elles soient enfin l'espace d'une délivrance possible, d'une renaissance. L'écriture du désir est un espace talismanique, un gage donné à la mort (mais pas encore), à l'amour ( oui, encore un peu), et à la pensée. Parfois celui qui écrit avance dans la pénombre sans savoir exactement ce qui s'écrit mais comprenant confusément que ce qui s'écrit là le précède. [...] c'est le plus mystérieux sans doute, par quel procédé confie-t-on à cette main prolongée d'un stylo ou d'un ordinateur de tracer, presque à notre insu, ce qui s'écrit ? Car dans toute écriture, je crois, il y a un texte sous-jacent à ce que l'on veut conduire en ligne de tête, et que l'on maîtrise avec plus ou moins de talent et de force. Ce sous-texte que l'inconscient arme comme il arme nos rêves, nos lapsus, nos actes manqués, les dates signifiantes de nos vies, les prénoms aimés..., là précisément se trouve à se risquer, vraiment, le désir."

 

 

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ANNE DUFOURMANTELLE

 " Eloge du risque "

Editions Payot 2011

 

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Norman Alfred Lindsy (1941)

Oeuvre Norman Alfred Lindsy

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