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EMMILA GITANA
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24 juillet 2022

L'INFINI...Extrait

"Il n'y a d'infini que par l'activation du fini. C'est le fini la pierre d'angle et c'est lui, et lui seul, qui supporte le poids très lourd de nos grandes, de nos vastes mythologies. Fatigué d'être contraint par nos pierres, soudain il fuse et s'envole d'un trait comme l'oiseau des ruines. L'activation du fini est notre fait et notre faix quotidiens, nous qui sommes des bûcherons du réel, des forgerons de métaux pauvres. Avec des bras en bois et des bustes de fer, on ne peut espérer s'évader vers les nuages. Nos yeux seuls voyagent pour nous. Ils vont, éclairés par le soleil ou illuminés par la nuit quand leurs paupières à la fin sont de velours, là où jamais, jamais, nous n'irons. Ils ont des affinités avec l'oiseau, des connivences avec le ciel, ils ont des réseaux qui s'abouchent avec l'infini. Mais ils veulent bien, nos yeux, par compassion d'amour, ne pas nous quitter, et continuer, eux princes, à nous servir: à regarder à notre place, à pleurer, s'il le faut, à notre place. Mais ils savent aussi que c'est, entre eux et nous, un pacte de vérité définitif par qui nous nous perdrons ensemble ou par qui, ensemble, nous nous sauverons. C'est pourquoi c'est avec tranquillité que nos yeux contemplent l'horizon, ce cercle vacillant autour de notre condition, cercle dont la seule issue est par le centre, point fort du réel où vient s'enraciner l'infini.
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Mais pour que soit rendu possible dans notre cœur d'intuition le surgissement diaphane de l'infini, il y faut la traversée à l'aveuglette de cette chambre encombrée de mille objets qu'est la vie où, à chaque instant, on se heurte à l'angle d'un meuble, où de mauvais bleus s'impriment sur nos corps et sur nos membres mis en prison. La relativité du monde, bien avant qu'Einstein ne l'eût faite formule, est notre expérience existentielle de tous les instants depuis toujours. Nous logeons à l'enseigne de ce qui nous étouffe, de ce qui nous fait follement suffoquer. L'univers ne serait-il donc qu'un grand bazar créé pour nous meurtrir ? En tout cas, c'est ici que tout se passe, sous le toit de l'univers et dans ce coin qui nous a été attribué par la mystérieuse loterie qui régit, dans l'éclair, notre destin. C'est à partir de la commode, meuble idiot, qu'il nous appartient d'imaginer, peut-être même de fonder, le créant, notre lieu d'infini – comme le fit Mallarmé. Les poètes sont, de fait, ceux qui mêlent de l'infini à leurs envies de finitude car ils ont besoin, ces béliers, d'être un peu rassurés, et l'enclos qui les ceint et les enferme est précisément dispositif qui les rassure. Qui les rassure à peine. La mort est là, dehors, qui court autour de l'enceinte, renarde et louve. Les cornes du bélier n'y peuvent rien: le jour venu, arrachées avec la tête, les yeux à demi dévorés sur le sol où le sang fut bu, ces cornes meublent de rien le temps de la mort. De rien, mais pourtant d'un ornement. Ainsi : écrire.
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De l'infini, nous n'avons que le témoignage à ras de terre d'un peu d'herbe dont nous ne saurons oublier qu'elle est, entre chacun de nous et le néant, l'inexpliquée médiatrice. La terre est velue là où il le faut comme l'est la femme qui, elle, donne le jour à l'infini, avec la complicité de ses mille serrures mystérieuses, ouvrant, face aux béances de la terre, sur un autre vide.
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Fenêtre ouverte est la femme ; fenêtre fermée est la terre.
Mais, de l'une à l'autre, il y a ce chemin d'herbe où nous, les hommes, ceux sur qui en vient à pleuvoir quelquefois l'étoile de la poésie, celle affrontée sans cesse et confrontée à Sirius, "astre de la sécheresse" selon les antiques Arabes (et je les évoque ici comme amateurs de ciels étoilés et de femmes étoilantes : (le Coran n'a-t-il pas été imaginé "en étoilement" selon ce qu'il en dit de lui-même ?), oui, de l'une à l'autre, racine de lit, racine de tombe, femme et terre, il y a ce chemin que nous aimons prendre et qui est creusé dans le souffle. Par ce souffle, chacun est uni à tout ce qui respire et peine, le vent, l'arbre, le corps, la mer, le ciel avec ses plus rayonnants nuages, eux aussi poussés par un souffle et les voici qui tournent au gris, au gris bleu luisant et au noir, à plus de noir encore, et les voici qui s'accumulent terriblement, qui se bousculent terriblement, jouant à l'on ne sait quel énorme jeu de pousses-toi de là que je m'y mette, à l'on ne sait quel tohu-bohu préhistorique, comme des bêtes enragées d'avoir soudain vu Dieu dans le cadre de sa fenêtre ouverte, et qui, prises de la grosse panique des âges, fuient dramatiquement, poussées au cul par la toute-puissante respiration. Ce n'est pas une scène de la savane africaine que je décris là mais bien ce qui se passe ordinairement dans nos cieux en des après-midi de chaleur quand, dans l'éclair, parvient à se densifier l'infini ou ce qui nous semble tel. Car de l'infini, l'un des visages tournés vers nous n'est pas de sérénité, mais je le vois plutôt comme une agitation éperdue d'une torche horrible.
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Il y a en chacun de nous l'énigme d'une nappe phréatique où chacun puise, souvent sans le savoir. Sous la voussure du ciel redevenu bleu, bleu séraphiquement, il y a la petite coupole blanche du saint endormi dans la tendresse étrange de la mort entre les quatre murs, blancs eux aussi, de son ultime voyage, bateau de pierre ou de pisé ayant, pour le jour des hommes, jeté l'ancre chez eux et parmi eux.
Et c'est pour moi retourner à la case départ où j'estimais pouvoir dire que c'est le fini qui, à notre échelle, commandait tout le reste et même l’Échelle de Jacob. Ce serait assez satisfaisant pour l'esprit de terminer ce texte, ce très court texte sur l'infini, par ce beau mot d'échelle. Les Échelles du Levant, dont je viens. Échelle de Jacob, qu'il m’a plu de citer.
Et René Char: “A l'âge d'homme, j'ai vu s'élever et grandir, sur le mur mitoyen de la vie et de la mort, une échelle de plus en plus nue, investie d'un pouvoir d'évulsion unique, le rêve.“. Mais l'infini est cela qui, plus nu que le plus nu, déconcerte et défait tous les barreaux de nos échelles."
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SALAH STETIE
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stetié

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